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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

mon amitié à tout ce qui porte le nom français. Nos deux blancs furent très attendris de cette touchante rencontre ; ils se crurent dès ce moment au milieu de leurs compatriotes. Après quelques heures de repos,


    avait pu donner l’ordre au garde-magasin de suspendre à son égard l’arrêté du conseil général. Tous les convives prirent alors la parole, et lui dirent que le conseil n’avait jamais eu l’intention de le rationner, et qu’il devait souffrir cette exception. Le général répondit, en se tournant du côté d’un de ses aides-de-camp : Allez dire au garde-magasin que je le mets provisoirement aux arrêts pour avoir outre-passé mes ordres ; et vous, messieurs, sachez que je ne suis pas fait pour ravir les moyens d’existence qu’ont les malheureux esclaves, qui manqueraient certainement de vivres, tandis que j’aurais du superflu sur ma table ; apprenez qu’un général français sait aussi-bien supporter les privations que les braves soldats qu’il a sous ses ordres. Pendant tout le temps de la pénurie, qui dura quatre mois, le général ne voulut jamais souffrir qu’on lui donnât une plus forte ration que celle qui revenait au dernier des esclaves : son exemple lit que personne ne murmura et qu’on parvint à sauver la colonie. Pendant qu’on éprouvait les plus fortes privations, la récolte avançait, et vint enfin délivrer Saint-Louis de la disette ; des navires arrivèrent en même temps de France et y répandirent l’abondance. Mais quelque temps après, les Anglais revinrent assiéger Saint-Louis et s’en emparèrent.
    Quoique cette note nous ait un peu éloignés de notre sujet, nous n’avons pas voulu passer sous silence un trait aussi beau : c’est un hommage rendu à la mémoire du brave général Blanchot. Nous pouvons ajouter qu’après avoir été gouverneur pendant très-long-temps, il mourut sans fortune. Combien compte-t-on d’hommes comme Blanchot ?