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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

clave par les Maures qui l’avaient arrachée des bras de sa mère : aussi elle les détestait et les nommait les brigands du désert. Elle disait, en très-bon français, aux deux blancs : N’est-ce pas que ce sont là de vilains Messieurs ? Oui, lui répondirent nos malheureux compatriotes. Eh bien, continua-t-elle, ces brigands m’enlevèrent, malgré les efforts de mon malheureux père, qui me défendait avec courage. Ils portèrent ensuite la dévastation dans notre village, qui l’instant d’auparavant goûtait le bonheur et la tranquillité. Nous vîmes dans cette triste journée des familles entières qui furent enlevées, et nous fûmes tous conduits à cet horrible marché de Saint-Louis, où les blancs exercent l’exécrable métier de marchands d’hommes. Le sort voulut bien me favoriser, et m’éviter d’aller chercher la mort en Amérique, à travers les tempêtes qui couvrent la mer qui la sépare du sol africain ; j’eus le bonheur de tomber entre les mains du respectable général Blanchot[1], dont le nom et le souvenir seront toujours chers aux habitans de

  1. La probité et la justice du général Blanchot étaient tellement reconnues par les habitans de Saint-Louis, que lorsque la mort le frappa et priva pour toujours la colonie de son plus ferme appui, tous les commerçans et les employés du gouvernement se réunirent pour lui faire élever un monument dans lequel reposent encore les restes de ce brave général. Ce fut peu de temps après sa mort que les Anglais s’emparèrent de Saint-Louis, et tous les officiers de cette nation voulurent coopérer aux frais qu’exigeait l’érection du monument, sur lequel on remarque une épitaphe qui commence par ces