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CHAPITRE IX.

Le 12, après quelques heures de marche, on rencontra une autre bande de Maures, beaucoup plus forte que la première ; celle-ci voulut pourtant résister ; elle fut vaincue, et son chef renvoyé avec la barbe et les cheveux rasés, sans doute en signe de mépris.

Hamet était le nom du vainqueur. « Je suis, dit-il en mauvais anglais, votre maître et le prince des Maures pêcheurs ; vous allez être conduits à mon camp. » On y arriva vers le soir, sous la garde de quatre sauvages ; mais on n’y trouva, au milieu de quelques chétives cabanes, que des femmes et des enfans, laissés à la garde des troupeaux, et on n’eut pour boisson que de l’eau bourbeuse et amère, et pour nourriture que des crabes crus et des racines filandreuses. Le prince Hamet ne revenait point ; cependant le défaut ou la mauvaise qualité des alimens, l’air embrasé qu’on respirait ; ce soleil, dont les rayons perpendiculaires grillent la peau des Européens, la privation du sommeil, d’affreux souvenirs, de plus terribles inquiétudes avaient allumé le sang des malheureux voyageurs ; leur corps se couvrit de cloches qui crevaient d’elles-mêmes. Ils étaient réduits à coucher sur l’arène, et comme ils n’avaient pas un vêtement, pas un linge pour étendre sous eux, le sable, imprégné de vapeurs salines, s’attachait à toutes ces plaies cuisantes, et irritait leurs souffrances à tel point que tous résolurent de se laver dans la mer ; elle emporta le sable ; mais cette eau, chargée de sel et de