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CHAPITRE IX.

eut seul l’adresse de rejoindre la caravane ; il annonça l’arrivée des barbares. À cette nouvelle, la troupe entière, qui avait ramassé toutes ses forces pour continuer le voyage, resta comme frappée de la foudre ; la résistance et la fuite étaient également impossibles. Au milieu de la consternation générale, une voix s’écrie : « Eh bien ! les Maures nous donneront à boire. » Et d’un même-temps, tout le monde s’avance au-devant de cette bande, qui tout-à-l’heure inspirait tant d’effroi. Elle accourait elle-même comme une meute à la curée. En un clin-d’œil, les naufragés furent dépouillés de leurs vêtemens et même de leurs chemises. Ils se prêtaient de la meilleure grâce possible à cette honteuse opération, craignant que la moindre résistance, le moindre mot, ou seulement un air de regret n’indisposât les brigands à qui ils demandaient en suppliant un peu d’eau et de mil. Enfin on conduisit les captifs à un marigot caché dans un fond. L’eau en était amère et couverte de mousse ; cependant ces malheureux, pressés à l’entour, ne pouvaient se rassasier de cette espèce de bourbe, que leur estomac affaibli rejetait à mesure qu’ils la buvaient. On les mena ensuite vers les cabanes ; le chef des Maures demanda le commandant ; on lui montra M. Petit. Il lui prit la main et le fit asseoir à son côté, pendant que les femmes partageaient le butin ; ensuite toute la horde, guerriers, femmes et enfans, commença les danses mêlées des cris et des contorsions par lesquels ils témoignent ordinairement leur allégresse.