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CHAPITRE IX.

crabes ; la forme de cet animal est si hideuse et sa chair donne de si fortes coliques, surtout quand on la mange crue, que peu de personnes osèrent en goûter.

La nuit se passa comme la précédente, mais on entendait siffler beaucoup de serpens.

Le lendemain 9, vers deux heures du matin, on reprit la route du Sénégal. Cette quatrième journée passée dans le désert fut la plus terrible. Chacun sentant ses forces entièrement épuisées, ne s’attendait plus qu’à mourir. Pourtant quelques-uns se déterminèrent enfin à manger des crabes. Par la liste donnée au commencement de ce chapitre on a pu voir qu’il n’y avait qu’une femme dans la caravane, c’était celle d’un caporal. Cette malheureuse, exténuée de fatigue, se laissa tomber par terre, et déclara ne pouvoir aller plus loin. L’idée de l’abandonner à la voracité des lions où à la brutalité des Maures, révoltait son mari ; il pensa que la peur lui rendrait peut-être la force de continuer la route, et la menaça de lui passer son sabre à travers le corps, si elle ne se relevait à l’instant. Elle voulut obéir, parvint à peine à se soulever, retomba épuisée de cet effort, et pria son mari de la tuer : Frappe, lui dit-elle, et que je cesse de souffrir. On la laissa en proie aux horreurs de la faim ; mais pour ne pas la voir succomber au même genre de mort auquel on se croyait réservé soi-même, et si prochainement, on se traîna vers un marigot d’eau salée, près duquel on passa une nuit troublée par les cris des oiseaux de proie, les sifflemens des reptiles, et les rugissemens des lions. Le caporal