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CHAPITRE IX.

le sommeil triompha de la faim et même de la soif. On dormait, lorsque des lions vinrent rugir aux environs des cabanes : tout le monde s’apprêta donc à se défendre ; mais en attendent l’ennemi, chacun se fiant à la vigilance de son voisin, se rendormit près de ses armes. De nouveaux rugissemens donnèrent de nouvelles alertes, toujours suivies d’un nouveau somme, et l’on en fut quitte pour la peur.

Le 7, vers deux heures du matin, la compagnie se remit en route. La soif et la faim se faisaient cruellement sentir ; tout affaibli qu’on était, on courait de tous côtés pour tacher de découvrir un peu d’eau et quelques racines. Enfin ces recherches ne procurant que de la fatigue, quelques-uns se mirent à boire de l’eau de mer. Elle leur donna d’horribles coliques, avec de violens vomissemens, et irrita leur soif au lieu de l’apaiser. D’autres songèrent à boire de l’urine. Cette ressource fut bientôt épuisée, quoique les plus délicats ne voulussent pas y porter les lèvres. Enfin d’autres s’avisèrent de creuser de petits puits au bord de la mer ; il s’y trouva une eau bourbeuse moins salée et moins nuisible que celle de l’Océan.

La nuit ayant rafraîchi l’atmosphère, toute la caravane, abritée derrière une dune, s’endormit bientôt, mais d’un sommeil agité par des songes presque tous pénibles et qui nous ont été racontés. Un ancien militaire voyait se reproduire les malheurs de l’invasion, et braquer des canons prussiens sur les ponts de Paris ; un autre recommençait la conquête de l’Égypte ; un