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CHAPITRE VIII.

« Cet exemple funeste pour nous, donna à nos matelots l’envie d’en faire autant. M. Espiau consentit à les mettre à terre ; il espérait pouvoir ensuite, avec le peu d’eau qui restait, et en manœuvrant nous-mêmes, aller jusqu’au Sénégal. Nous entourons donc ce peu d’eau, et nous nous armons d’épées pour la défendre. On se porte près des brisans ; on jette l’ancre, et l’officier donne l’ordre de filer la corde doucement ; les marins, au contraire, lâchèrent la corde ou la coupèrent. La chaloupe, n’étant plus arrêtée, est entraînée dans un premier brisant. L’eau passe par-dessus nos têtes, et emplit la chaloupe aux trois quarts ; elle ne coule pas. Sur le champ on déploie une voile qui nous emporte à travers les autres brisans. La chaloupe s’emplit tout à fait ; nous coulons ; mais il n’y avait plus que quatre pieds d’eau : tout le monde se jette à la mer et personne ne périt.

« Avant que l’on songeât à aller à terre, je m’étais déshabillé pour faire sécher mes habits, et j’aurais pu me revêtir ; mais la nouvelle résolution étant prise, je crus que, sans vêtemens, je serais plus dispos en cas de besoin. M. de Chasteluz ne savait pas nager : il s’attacha une corde dont je pris un bout, et au moyen de laquelle je devais l’attirer à moi, dès que j’aurais atteint la terre. Quand la chaloupe coula, je me jetai dans les flots ; je ne fus pas peu satisfait de toucher le fond, car j’étais inquiet de mon camarade. Je retournai à la chaloupe ; je cherchai mes habits et mon épée. Une partie m’était déjà volée ; je ne retrouvai que mon