Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
CHAPITRE VIII.

haut des montagnes : je crois m’y plonger tout entier. Cette douce illusion ne fut pas complète ; je me réveillai, et quel réveil, grand Dieu ! Ma tête se releva douloureusement, je décole mes lèvres ulcérées, et ma langue desséchée n’y trouve qu’une croûte amère de sel, au lieu d’un peu de cette eau que j’avais vue dans mon rêve. Le moment fut affreux, et mon désespoir extrême. Je pensai à me jeter à la mer, et à terminer en un instant toutes mes souffrances : ce désespoir fut court ; il y avait plus de courage à souffrir. »

« Un bruit sourd qu’on entendait au loin, ajouta aux horreurs de cette nuit. La crainte que ce ne fût le bruit de la barre du Sénégal, empêcha qu’on ne fit tout le chemin qu’on aurait pu faire. Nous n’avions aucun moyen de savoir où nous étions. L’erreur était grande ; ce bruit n’était que celui des brisans qui se trouvent sur toutes les côtes d’Afrique. Depuis, nous avons su que nous étions encore à plus de soixante lieues du Sénégal. »

Dans la journée du huit, à deux heures du soir, les hommes, tourmentés par une soif ardente et une faim qu’ils ne pouvaient satisfaire, forcèrent, par leur demandes réitérées, à faire côte, ce qui eut lieu dans la soirée du même jour. L’intention de l’officier était de continuer, sa route jusqu’au Sénégal ; il eût réussi sans doute, mais les cris des soldats et des matelots qui, déjà, murmuraient hautement, décidèrent la manœuvre qui fut faite, et l’équipage débarqua à