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CHAPITRE VIII.

craignaient tout notre équipage, qu’ils croyaient révolté ; cependant nous ne mettions d’autres condition, en recevant du monde, que de prendre de l’eau. La soif commençait à se faire sentir ; quant au biscuit, nous n’en manquions pas.

« Plus d’une heure s’étant écoulée depuis cet incident, la mer devint très-grosse ; l’yole ne put tenir. Obligée de demander du secours, elle arriva vers nous. Mon camarade de Chasteluz était un des quinze hommes qu’elle renfermait. Nous songeons d’abord à son salut ; il s’élance sur notre chaloupe, je le retiens par le bras et l’empêche de retomber à la mer. Nous nous serrâmes la main : quel langage ! »

« Singulière suite d’événemens ! Si nos soixante-trois hommes n’avaient pas absolument voulu débarquer, nous n’aurions pu sauver les quinze hommes de l’yole ; nous eussions eu la douleur de les voir périr devant nous sans pouvoir les secourir. Ce n’est pas tout ; voici ce qui me regarde particulièrement. Quelques instans avant de prendre les hommes de l’yole, je me déshabillai afin de faire sécher mes habits qui, depuis quarante-huit heures étaient mouillés, pour avoir aidé à tirer l’eau de la chaloupe. Avant d’ôter mon pantalon, je touchai ma bourse qui contenait les 400 fr. ; un moment après, je ne l’avais plus : c’était le complément de toutes mes pertes. Quelle heureuse idée d’avoir partagé mes 800 fr ; M. de Chasteluz avait les 400 autres. »

La chaleur fut très-forte pendant la journée du 6.