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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

de douze mètres à peu près,[1] Une certaine portion de vin nous fut assignée et, le départ fixé au lendemain 17 : le vin devait être mis dans une botte, seule chose qui fût susceptible de le contenir. La machine achevée, il fallut l’essayer. Un matelot voulant passer de l’avant en arrière, fut gêné par le mât, et plaça le pied sur l’une des planches transversales ; le poids de son corps fit chavirer le petit navire, et cet accident nous démontra la témérité de notre entreprise. Il fut alors décidé que nous attendrions tous la mort sur le radeau : on largua l’amarrage qui retenait la jumelle à notre machine, et elle s’en alla en dérive. Il est bien certain que si nous étions partis sur ce second radeau, faibles comme nous l’étions, nous n’aurions pu résister seulement six heures, les jambes dans l’eau et étant forcés d’agir continuellement pour ramer.

La nuit vint sur ces entrefaites, et ses sombres voiles ramenèrent dans nos esprits les plus affligeantes pensées. Nous étions convaincus qu’il ne restait dans notre barrique que douze ou quinze bouteilles de vin. Nous commencions à avoir un dégoût invincible pour les chairs qui nous avaient à peine soutenus jusque-là ; et nous pouvons dire que leur vue nous imprimait un sentiment d’effroi, sans doute amené par l’idée d’une destruction très-prochaine.

  1. On nomme jumelle un long morceau de bois concave sur l’une de ses faces, et servant à être appliqué sur les côtés d’un mât lorsqu’il menace de se rompre : il est maintenu là par de forts amarrages.