Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

vans, n’invoquâmes-nous pas une tempête qui nous jetât à la côte, qu’il nous semblait que nous allions toucher.

L’espérance qui venait de pénétrer jusqu’au fond de notre être ranima aussi nos forces abattues et nous fit retrouver une ardeur, une activité dont nous ne nous serions pas crus capables. Nous recourûmes à tous les moyens que nous avions déjà employés pour la pêche du poisson. Nous convoitions principalement le goéland, qui parut plusieurs fois tenté de se reposer sur l’extrémité de notre machine. L’impatience de nos désirs redoubla quand nous vîmes plusieurs de ses compagnons se joindre à lui et rester à notre suite jusqu’à notre délivrance ; mais tous nos efforts pour les attirer jusqu’à nous furent inutiles, aucun ne se laissa prendre aux pièges que nous leur offrions. Ainsi notre destinée, sur le fatal radeau, était d’être sans cesse ballottés entre des illusions passagères et des tourmens continus ; et nous n’éprouvions pas une sensation agréable qu’à l’instant même nous ne fussions en quelque sorte condamnés à l’expier par l’angoisse d’une nouvelle souffrance, par la douleur irritante de l’espérance toujours trompée.

Ce même jour un autre soin nous avait aussi occupés. Nous voyant réduits à un petit nombre, nous recueillîmes le plus de forces qui nous restait, nous détachâmes quelques planches qui étaient sur le devant du radeau, et avec des morceaux de bois assez longs, nous élevâmes au centre une espèce de parquet sur lequel nous nous reposâmes. Tous les effets que nous