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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

s’en aperçut ; et M. Coudin, aidé de quelques ouvriers, l’en retira pour prolonger de quelques instans ses tourmens et son existence.

Dans cette nuit horrible, Lavillette ne cessa de donner des preuves de la plus rare intrépidité. Ce fut à lui et à quelques-uns de ceux qui ont échappé à la suite de nos maux, que nous devons notre salut.

Enfin, après des efforts inouïs, les révoltés furent encore une fois repoussés, et le calme se rétablit. Sortis de ce nouveau danger, nous cherchâmes à prendre quelques instans de repos : le jour vint enfin nous éclairer pour la cinquième fois. Nous n’étions plus que trente ; nous avions perdu quatre ou cinq de nos fidèles marins ; ceux qui survivaient étaient dans l’état le plus déplorable. L’eau de la mer avait enlevé presque entièrement l’épiderme de nos extrémités inférieures ; nous étions couverts ou de contusions ou de blessures qui, irritées par l’eau salée, nous arrachaient à chaque instant des cris perçans, de sorte que vingt tout au plus d’entre nous étaient capables de se tenir de bout et de marcher. Presque toute la provision de notre pêche était épuisée ; nous n’avions plus de vin que pour quatre jours, et il nous restait à peine une douzaine de poissons. Dans quatre jours, disions-nous, nous manquerons de tout, et la mort sera inévitable. Ainsi arriva le septième jour de notre abandon. Nous calculions que dans le cas ou les embarcations n’auraient pas échoué à la côte, il leur fallait au moins trois ou quatre fois vingt-quatre heures pour se rendre à