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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

complot de nous jeter tous à la mer ; ils devaient nous surprendre pour exécuter leur dessein. Ces malheureux s’étaient laissé persuader par les noirs qui leur assuraient que la terre était extrêmement près, et qu’une fois sur le rivage, ils leur répondaient de leur faire traverser l’Afrique sans danger. Le désir de se sauver, ou peut-être encore l’envie de s’emparer de l’argent et des bijoux qui avaient été mis dans un sac commun, suspendu au mât[1], avait monté l’imagination de cette bande. Il fallut de nouveau prendre les armes ; mais comment reconnaître les coupables ? Ils nous furent signalés par nos marins qui, restés fidèles, s’étaient rangés près de nous : l’un d’eux avait refusé d’entrer dans le complot. Le premier signal du combat fut donné par un Espagnol, qui, placé derrière le mât, l’embrassait étroitement, d’une main, faisait dessus une croix, invoquait le nom de Dieu, et de l’autre main tenait un couteau. Les matelots le saisirent et le jetèrent à la mer. Le domestique d’un officier de troupes était de ce complot ; c’était un Italien sortant de l’artillerie légère de l’ex-roi de son pays ; lorsqu’il s’aperçut que le complot était découvert, il s’arma de la

  1. Nous avions tous mis, dans un sac commun, l’argent que nous possédions, afin d’acheter des rafraîchissemens et payer des chameaux pour porter les plus malades, en cas que nous prissions terre sur les bords du désert. La somme s’élevait à 1500 fr. Nous nous sauvâmes quinze, et chacun eut 100 francs : lorsque nous fûmes sauvés, ce fut le commandant du radeau et un capitaine d’infanterie qui firent le partage.