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CHAPITRE VI.

côtés du tonneau vide ; nous plaçâmes dans son fond plusieurs effets mouillés, et sur cette espèce d’échafaudage nous établîmes notre foyer ; nous l’élevâmes ensuite sur une barrique, pour que l’eau de mer ne vint pas éteindre le feu. Nous fîmes cuire des poissons et nous mangeâmes avec une extrême avidité ; mais notre faim était telle, et notre portion de poissons si petite, que nous y joignîmes de ces viandes sacrilèges, que la cuisson rendit moins révoltantes ; ce sont celles auxquelles les officiers touchèrent pour la première fois. À compter de ce jour nous continuâmes à en manger ; mais nous ne pûmes plus les faire cuire, les moyens de faire du feu nous ayant été entièrement enlevés ; car la barrique s’étant enflammée, nous l’éteignîmes sans pouvoir en conserver pour en ralumer le lendemain. La poudre et l’amadou étaient d’ailleurs entièrement consommés. Ce repas donna aux uns et aux autres de nouvelles forces pour supporter encore de nouvelles fatigues. La nuit fut passable et nous aurait paru heureuse, si elle n’avait pas été signalée par un nouveau massacre.

Des Espagnols, des Italiens et des noirs, restés neutres dans la première révolte, et dont quelques-uns même étaient rangés de notre côté[1], formèrent le

  1. Ce complot, comme nous l’apprîmes ensuite, fut particulièrement formé par un sergent piémontais, qui, depuis deux jours, se rapprochait beaucoup de nous pour attirer notre confiance. La garde du vin lui fut confiée ; la nuit il en dérobait et en distribuait à quelques hommes de ses amis.