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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

cérébrale, suite d’une exaltation morale poussée à l’extrême. Dis que le jour venait nous éclairer, nous étions beaucoup plus calmes ; l’obscurité ramenait le désordre dans nos cerveaux affaiblis. Nous avons observé sur nous-mêmes que la terreur si naturelle que nous inspirait la position cruelle dans laquelle nous étions, augmentait de beaucoup dans le silence des nuits : alors tous les objets nous paraissaient infiniment plus effrayans[1].

  1. Tous ces différens symptômes ont beaucoup de rapport avec ceux d’une affection particulière aux marins, lorsqu’ils voyagent sous des latitudes très-chaudes, particulièrement dans le voisinage de la ligne équinoxiale ou vers les tropiques. Cette affection a été décrite par Sauvages, sous le nom de calenture.
    « L’invasion de cette maladie se fait pendant la nuit, et tandis que le sujet est endormi. L’individu se réveille privé de l’usage de sa raison : son regard étincelant, ses gestes menaçans expriment la fureur ; ses discours prolixes sont insignifians et sans suite ; il s’échappe de son lit, s’éloigne de l’entrepont, et court sur le pont ou les gaillards du vaisseau : là il croit voir, au milieu des ondes, des arbres, des forêts, des prairies émaillées de fleurs. Cette illusion le réjouit, sa joie éclate par mille exclamations ; il témoigne le plus ardent désir de se jeter dans la mer ; il s’y précipite, en effet, croyant descendre dans un pré, et sa mort est certaine, lorsque ses camarades n’ont pas eu assez d’agilité ou n’ont pas été en nombre suffisant pour s’opposer au caprice de sa démence. Sa force est si extraordinaire dans cette crise, que souvent quatre hommes vigoureux ont peine à l’arrêter. ( Voyez Dictionnaire des Sciences médicales,