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CHAPITRE V.

furieuse, où il fallait être continuellement sur ses gardes, non-seulement contre la violence des hommes, mais encore contre la fureur des flots, peu d’entre nous eurent, si on peut le dire, le temps de se laisser attendrir par cette scène d’amitié conjugale.

M. Corréard, l’un de ceux qu’elle avait le plus délicieusement ému, entendant la femme se recommander encore, comme elle l’avait fait dans la mer, à Notre-Dame-du Laux, en lui disant à chaque instant : Bonne Notre-Dame-du-Laux, ne nous abandonnez point, se rappela qu’il existait en effet dans le département des Hautes-Alpes un lieu de dévotion de ce nom[1], et lui démanda si elle était de ce pays. Elle lui répondit affirmativement, et ajouta quelle en était sortie depuis vingt-quatre ans ; que depuis cette époque elle avait fait, comme cantinière, les campagnes d’Italie, etc. ; qu’elle n’avait jamais quitté nos armées. « Ainsi, poursuivait-elle, conservez-moi la vie. Vous voyez que je suis une femme utile. Ah ! si vous saviez combien de fois, et moi aussi, sur le champ de bataille, j’ai affronté la mort pour porter du secours à

  1. Notre-Dame-du-Laux se trouve dans le département des Hautes-Alpes, non loin de Gap. On y a fait bâtir une église dont la patrone est très-célèbre dans le pays par ses miracles. Les boiteux, les goutteux, les paralytiques, etc., y trouvaient un secours qui, dit-on, ne leur a jamais manqué ; malheureusement ce pouvoir miraculeux ne s’étendait pas, à ce qu’il paraît, sur les naufragés ; du moins la malheureuse cantinière en tira bien peu d’effet.