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CHAPITRE V.

devint général. Quelques-uns crièrent d’amener la voile ; une foule d’insensés se précipitent à l’instant sur la drisse et les haubans et les coupèrent. La chute du mât faillit de casser la cuisse à un capitaine d’infanterie, qui tomba sans connaissance ; il fut saisi par les soldats qui le jetèrent à la mer. Nous nous en aperçûmes, le sauvâmes et le déposâmes sur une barrique, d’où il fut arraché par les séditieux qui voulurent lui crever les yeux avec un canif. Exaspérés par tant de cruautés, nous ne gardâmes plus de ménagemens et nous les chargeâmes avec furie. Le sabre à la main, nous traversâmes les lignes que formaient les militaires, et plusieurs payèrent de leur vie un instant d’égarement. Plusieurs passagers, dans ces cruels momens, déployèrent beaucoup de courage et de sang-froid.

M. Corréard était plongé dans une sorte d’anéantissement ; mais entendant à chaque instant les cris : Aux armes ! à nous, camarades ! nous sommes perdus ! joints aux gémissemens et aux imprécations des blessés et des mourans, il fut bientôt arraché à sa léthargie. Tout cet horrible tumulte lui fit comprendre qu’il fallait se tenir sur ses gardes. Armé de son sabre, il rassembla quelques-uns de ses ouvriers sur l’avant du radeau, et leur défendit de faire du mal à qui que ce soit, à moins qu’ils ne fussent attaqués. Il demeura presque toujours avec eux, et ils eurent plusieurs fois à se défendre contre les attaques des révoltés qui, tombant à la mer, revenaient par l’avant du radeau, ce qui plaçait M. Corréard et sa petite