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CHAPITRE V.

dente avait été affreuse, celle-ci fut plus horrible encore. Des montagnes d’eau nous couvraient à chaque instant et venaient se briser avec fureur au milieu de nous[1]. Fort heureusement nous étions vent arrière, et la force de la lame était un peu amortie par la rapidité de notre marche ; nous courions alors sur la terre. Les hommes, par la violence de la mer, passaient rapidement de l’arrière à l’avant : nous fûmes obligés de nous serrer au centre, partie la plus solide du radeau : ceux qui ne purent le gagner périrent presque tous. Sur l’avant et l’arrière, les lames déferlaient impétueusement, et entraînaient les hommes malgré toute leur résistance. Au centre, le rapproche-

  1. Cette forte brise était ce même vent de nord-ouest qui, dans cette saison se lève, comme on l’a dit plus haut, tous les jours avec violence, après le coucher du soleil, mais qui, ce jour, commença plutôt et continua jusqu’au lendemain vers quatre heures du matin que le calme lui succéda. Les deux canots qui y résistèrent ont, dans ce coup de vent, failli plusieurs fois d’être naufragés. Tant que dura cette bourasque, la mer resta couverte d’une multitude remarquable de galères ou physalides ( physalis pelasgica) qui, disposées pour la plupart en lignes droites et sur deux ou trois rangs, coupaient angulairement la direction des lames, et paraissaient en même temps présenter leurs crêtes au vent d’une manière oblique, comme pour être moins en prise à son impulsion. Il est vraisemblable que ces animaux, ainsi que plusieurs autres molusques, ont la faculté de marcher par deux ou trois, et de se ranger en ordre régulier ou symétrique ; mais le vent avait-il surpris ceux-ci ainsi disposés à la surface de la mer, et avant qu’ils eussent eu le temps de descendre et de se mettre à l’abri