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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

tenaient étroitement embrassé. Tandis qu’ici les droits de la nature et le sentiment de la conservation reprenaient leur empire dans cette épisode touchante de nos tristes aventures, et qui venait de nous faire un peu de bien au cœur, nous eûmes bientôt le douloureux spectacle d’un sombre contraste. Deux jeunes mousses et un boulanger ne craignirent pas de se donner la mort, en se jetant à la mer, après avoir fait leurs adieux à leurs compagnons d’infortune. Déjà le moral de nos hommes était singulièrement altéré ; les uns croyaient voir la terre, d’autres des navires qui venaient nous sauver : tous nous annonçaient par leurs cris ces visions fallacieuses.

Nous déplorâmes la perte de nos malheureux compagnons. Nous étions loin, dans ce moment, de prévoir la scène bien autrement terrible qui devait avoir lieu la nuit suivante ; loin de là nous jouissions d’une certaine satisfaction, tant nous étions persuadés que les embarcations allaient venir à notre secours. Le jour fut beau, et la tranquillité la plus parfaite régna toute la journée sur notre radeau. Le soir vint et les embarcations ne parurent point. Le découragement recommença à s’emparer de tous nos hommes, et dès-lors l’esprit séditieux se manifesta par des cris de rage : la voix des chefs fut entièrement méconnue. La nuit survenue, le ciel se couvrit de nuages épais. Le vent qui, toute la journée, avait soufflé avec assez de violence, se déchaîna et souleva la mer qui, dans un instant, fut extrêmement grosse. La nuit précé-