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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

tion de nos misérables vivres. La ration de vin fut fixée à trois quarts par jour. Nous ne parlerons plus du biscuit ; la première distribution l’enleva entièrerement. La journée se passa assez tranquillement. Nous nous entretînmes des moyens que nous devions employer pour nous sauver ; nous en parlions comme d’une chose certaine, ce qui ranimait notre courage, et nous soutenions celui des soldats en le nourrissant de l’espoir de pouvoir sous peu nous venger sur ceux qui nous avaient si indignement abandonnés. Cet espoir de vengeance, il faut l’avouer, nous animait tous également, et nous vomissions mille imprécations contre ceux qui nous avaient laissés en proie à tant de maux et de dangers. L’officier qui commandait le radeaux ne pouvant se mouvoir, M. Savigny se chargea de faire installer la mâture. Il fit couper en deux un des mâts de flèche de la frégate ( mât de beaume). Nous mîmes pour voile le cacatois de perruche. Le mât fut maintenu avec le cordage qui nous servait de remorque, et dont nous fîmes des étais et des haubans ; il était fixé sur le tiers antérieur du radeau. La voile orientait fort bien, mais son effet nous était de très-peu d’utilité. Elle nous servait seulement lorsque le vent venait de l’arrière ; et, pour que le radeau conservât cette allure, il fallait qu’elle fût orientée, comme si le vent nous était venu de travers. Nous croyons qu’on peut attribuer cette position en travers qu’a continuellement conservée notre radeau, aux trop longs morceaux de bois qui dépassaient de chaque côté.