SUR SURÉNA 585
Orode le sent et l'avoue tout haut :
Ma pensée est la vôtre. Suréna lui-même ne l'ignore pas :
Mon crime véritable est d'avoir aujourd'hui Plus de nom que mon Roi, plus de vertu que lui ; Et c'est de là que part cette secrète haine Que le temps ne rendra que plus forte et plus pleine Plus on sert des ingrats, plus on s'en fait haïr : Tout ce qu'on fait pour eux ne fait que nous trahir. Mon visage l'offense, et ma gloire le blesse; Jusqu'au fond de mon àme il cherche une bassesse... En vain pour mes pareils leur vertu sollicite, Jamais un envieux ne pardonne au mérite.
Enfin, Orode ne lui dissimule pas sa défiance :
Vous êtes mon sujet, mais un sujet si grand
Que rien n'est malaisé quand son bras l'entreprend...
La victoire, chez vous passée en habitude.
Met jusque dans ses murs Rome en inquiétude :
Par gloire, ou pour braver au besoin mon courroux,
Vous trainez en tous lieux dix mille âmes à vous.
.Mais Orode recule devant le crime et préfère» s'assurer» de Su- réna en lui donnant sa fille. Avec embarras, Suréna décline un honneur dont il se proclame indigne ; chaque fois qu'on le presse, il se dérobe et plaide la cause des autres : de sa sœur Palmis, qui aime Pacorus et s'est crue destinée à lui; d'Eurydice, qui, au con- traire, n'aime pas, ce prince, mais sans vouloir dire qui elle aime. Le roi pourtant le met en demeure de se prononcer bientôt. S'il ne cède, on prévoit son arrestation ou sa mort. Mais ici Corneille s'est souvenu des fiers amants qu'il peignait autrefois, si grands par leur émulation dans l'héroïsme. Prières et menaces ne peuvent rien sur l'âme inflexible de Suréna, qui refuse de se sauver au prix d'une bassesse :
La grâce est aux grands cœurs honteuse à recevoir ; La menace n'a rien qui les puisse émouvoir. Qu'on veuille mou épée ou qu'on veuille ma tête. Dites un mot, Seigneur, et l'une et l'autre est prête : Je n'ai goutte de sang qui ne soit à mon Roi, Et si l'on m'ose perdre, il perdra plus que moi
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