SUR TITE ET BÉRÉNICE 531
Quoi qu'il en soit, il a imaginé deux couples d'amants, Domitian et Domitie, Tite et Bérénice, c'est-à-dire deux intrigues parallèles. On ne nous en voudra pas si, pour plus de clarté, nous séparons ici et les deux couples d'amants et les deux intrigues.
Domitie, fille du grand Corbulon, se regarde comme fille d'em- pereur, sous ce prétexte que l'empire a été jadis offert à son père, qui l'a repoussé. Elle ne doit donc épouser qu'un empereur, selon la logique propre aux héroïnes cornéliennes. D'abord, elle a aimé Domitian, frère de Tite; mais quand Tite est monté sur le trône, elle n'a plus vu son frère des mêmes yeux. Non pas qu'elle ait cessé d'aimer Domitian; mais l'amour est une faiblesse qui lui vo- lerait le rang auquel elle se croit destinée. Assez nettement elle définit l'état de son âme :
J'ambitionne et crains l'hymen d'un Empereur Dont j'ai lieu de douter si j'aurai tout le cœur.
Tite, en effet, s'efforce à l'aimer et ne l'aime pas vraiment; sou amour apparent n'est que politique. Elle ne l'aime pas davantage, mais serait humiliée de n'être plus aimée par lui. Ne déclare-t-elle pas que Nérou lui eût paru le plus grand des héros, s'il lui eût offert sa foi? Nous la plaignons d'avoir un cœur si cruellement partagé :
L'ambition l'entraîue, et l'amour le déchire.
Nous comprenons aussi que Domitian s'en indigne; mais nous comprenons moins que Domitian — le Domitien de l'histoire — joue ici le rôle d'amant éploré; nous comprenons moins encore qu'il parle ce jargon difficilement intelligible :
Faut-il mourir, Madame? et si proche du terme. Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme, Que les restes du feu que j'avais cru si fort Puissent dans quatre jours se promettre ma mort?
Boileau, dit-on, donnait ces vers comme un exemple accompli du galimatias double, « celui où l'auteur ni les lecteurs ne pouvaient rien comprendre ' ». A tous les reproches du plaintif Domitian
1. i< Baron, ce célèbre acteur, devait faire le rôle de Domitian, et, comme il l'étudiait, l'obscurité de ces vers lui donna quelque peine, et il en alla demander l'explication à Molière, chez qui il demeurait. Molière, après les avoir lus, lui dit qu'il ne les entendait pas non plus, u Mais attendez, dit-il à Baron; M. Corneille
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