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sacrifice presque obligé. Avait-elle renoncé à épouser le roi, lorsque son oncle lui-même, Mazarin, se mit contre elle du parti de la reine, indignée d’un tel amour? Elle y renonça seulement quand le mariage du roi fut annoncé. La Bérénice de Corneille renonce à Titus précisément à l’heure où son mariage avec Titus est devenu possible. Ainsi, du côté de Corneille tout au moins, ignorance ou, si l’on veut, inintelligence complète de ce qu’on attendait de lui. Le pauvre grand homme n’avait pas prévu Voltaire et ses ingénieuses explications, qui n’expliquent rien. 11 avait lu sans doute le roman inachevé de Bérénice, publié par Segrais en 1630, et dont le sujet est déjà la rivalité de Titus et de son frère ; la Béi’énice de du Ryer (1645), tragi-comédie en prose, tirée du Grand Cyrus, et celle de son propre frère, Thomas Corneille, tout aussi romanesque. Le seul auteur qu’il cite pourtant, c’est l’abréviateur de Dion Cassius, Xiphilin, et il lui emprunte deux traits essentiels : l’amour de Domitien pour Domitie, fille de Corbulou, qu’il épousa, et la passion, plus ou moins sincère et durable, que Titus éprouva pour cette même Domitie. A l’aide de cette double donnée, il transforme l’histoire, d’ailleurs bien incertaine, et que Racine, après tout, n’a guère moins altérée : car l’histoire nous dit que Bérénice, veuve très mûre, mariée en troisièmes noces au roi de Cilicie Polémon, quitta son mari pour suivre Titus, de dix ans plus jeune; que Titus répudia sa femme pour elle, mais que, devant les protestations des Romains, il renvoya Bérénice à sou tour. Mais comment nous intéresser à ce sacrifice? Bérénice touche à la cinquantaine! Et comment même nous intéresser à Titus? son grand mérite ou son grand bonheur, si l’on en croit M. Beulé[1], n’est-il pas d’avoir peu régné?

II

LES CARACTÈRES. — ANALYSE DE LA PIÈCE

C’est Xiphilin qui a perdu Corneille. Mais peut-être que, si Xiphilin n’eût pas existé, Corneille eût inventé ce que Xiphilin raconte.

  1. Revue des Deux Mondes, 1er déc. 1869. Voyez l’Introduction de Bérénice dans l’édition de M. Bernardin.