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510 Étude

Amour à part, le caractère d'Attila est le plus vrai de tous, historiquement. Que donnaient à Corneille Jornandès, Marcellin, Priscus? Peu de chose; en tout cas, il avait à réunir les traits épars çà et là pour en composer une physionomie dramatique. L'orgueil d'abord : Attila se proclamait le roi de tous les rois, « rex omnium regum. » La ruse ensuite; ce barbare était un fin diplomate : « Homo subtilis, antequam arma gereret, arte pugnabat. » Enfin et surtout cette grandeur farouche et cruelle qui terrifiait l'univers : « Vir in concussionem gentium natus in mundo, terrarum omnium metus, qui, nescio qua sorte, terrebat cuncta formidabili de se opinione vul- gata1.n C'est sous cet aspect qu'un contemporain de Corneille, Balzac, avait peint Attila : « Il devait périr, cet homme fatal, il devait périr, dès le premier jour de sa conduite, par une telle ou une telle entreprise; mais Dieu se voulait servir de lui pour punir le genre humain et tourmenter le monde: la justice de Dieu se voulait venger, et avait choisi cet homme pour être le ministre de ses vengeances. La raison concluait qu'il tombât d'abord par les maximes qu'il a tenues ; mais il est demeuré longtemps debout par une raison plus haute qui l'a soutenu. Il a été affermi dans son pouvoir par une force étrangère et qui n'était pas de lui. Cet homme a duré pour travailler au dessein de la Providence. Il pensait exercer ses passions; il exécutait les arrêts du Ciel. Dieu est poète, et les hommes ne sont que les acteurs2. » Corneille connaissait à coup sûr cette belle page, écrite beaucoup avant le Discours de Bossuet, et par un homme qui avait su comprendre le Cid et Cinna. Mais il ne pouvait prévoir le portrait que Montesquieu tracerait du même conquérant, « prodigieusement fier et cependant rusé, ardent dans sa colère, mais sachant pardonner ou différer la punition suivant qu'il convenait à ses intérêts3 ». Et cependant, par une sorte de divination d'un génie plus gâté qu'affaibli, Corneille a devancé Montesquieu, si bien que l'historien semble se souvenir du poète en traçant le portrait d' « un des grands monarques dont l'histoire ait jamais parlé », du maître à la fois très altier et très fin de l'Orient et de l'Occident.

Le début de ce drame historique est d'une brusque fierté qui plaît aux modernes.

��1. Jornandès, de Getarum rebus gestis, passim.

2. Socrate chrétien, VIII.

3. Considérations, ch. xtx.

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