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ACTE IV, SCÈNE II 293

C'est que chez les Romains il retourne achever Des jours que dans leur sein vous fîtes élever; 1290

Qu'il retourne y trahier, sans péril et sans gloire, De votre amour pour moi l'impuissante mémoire. Ce grand Prince vous sert, et vous servira mieux- Quand il n'aura plus rien qui lui blesse les yeux: Et n'appréhendez point Home ni sa vengeance; 1295

Contre tout son pouvoir il a trop de vaillance: 11 sait tous les secrets du fameux Annibal, De ce héros à Rome en tous lieux si fatal Que l'Asie et l'Afrique admirent l'avantage Qu'en tire Antiochus, et qu'en reçut Carthage, 1300

Je me retire donc, afin qu'en liberté Les tendresses du sang pressent votre bonté, Et je ne veux plus voir ni qu'en votre présence Un prince que j'estime indignement m'offense, Ni que je sois forcée à vous mettre en courroux 1301)

Contre un fils si vaillant et si digne de vous.

��1292. L'impuissante mémoire; chaque mot est combiné avec un ait surpre- nant, pour toucher h la fois et irriter Prusias.

1294. L'assafsin do Laïus iloit me blesser la vue. {Œdipe, 1G02.)

129o. C'est justement là ce qu'elle veut lui faire craindre : en feignant de le rassurer, elle l'inquiète. C'est dans le même esprit qu'elle va évoquer encore une fois le souvenir d'Annibal : car si Prusias croit le disciple aussi dangereux que le fut le maître, Nicoméde est perdu.

1300. u Arsinoé parle avec trop d'ironie, et laisse peut-être trop voir sa haine dans le temps qu'elle veut la dissimuler. » (Voltaire.) Ici. en elfet, elle risque de perdre le bénéfice de sa dissimulation, si bien soutenue jusque-là. Carthage a été ruinée, Antiochus aété vaincu; voilà les avantages dont ils sont redevables à An- nibal. Il est impossible de ne pas sentir icn la contre-vérité. Arsinoé force donc un peu la note, mais peut-être était-il nécessaire de la forcer pour se faire inieiiK entendre de Prusias.

1302. Les tendresses; on a remarqué déjà que Corneille aime ces pluriels abs- traits.

1306. « L'intérêt devrait être pressant dans cette scène, et ne l'est pas : c'est que Prusias, sur qui se fixent d'abord les yeux, partagé entre une femme et un (ils, ne dit rien d'intéressant; il est même encore avili : on voit que sa femme le trompe ridiculement et que son fils le brave : on ne craint rien, au fond, pour Nicoméde; on méprise le roi, on hait la reine. » (Voltaire.) — « Pourquoi s'obs- tiner à ne rien craindre pour Niromèdc? Est-ce qu'il n'a pas à redouter la jalou- sie, la sourde inimitié, les injustes offenses du roi? Est-ce qu'il n'est pas en butte aux suggestions homicides du Romain, de la femme bien-aimée? Et Prusias? il est avili! L'intention de Corneille n'était pas, ce nous semble, d'attirer sur ce prince l'intérêt de l'action. Toute cette scène est un chef-d'œuvre, autant par la vérité des caractères que par l'éloquence des discours : tout ce qu'une malice consommée peut inventer de mensonges et d'insinuations pour envenimer les mauvaises passions dans une âme faible et corrompue est amassé, disposé habi- lement, revêtu des couleurs les plus trompeuses par la reine. Et Mcomède se montre toujours égal à lui-même dans sa généreuse défense. Quel éclat de pen- sées ! Quelle force de langage ! » (Naudct.)

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