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ACTE I, SCÉiNE V 22o

Et la mort d'Annibal m'eût fait mal juger d*euï.

ARSINOÉ.

Ne leur impute pas une telle injustice : 29o

Un Romain seul l'a faite, et par mon artifice.

Rome l'eiU laissé vivre, et sa lé^'alité

M'eût point forcé les lois de l'hospitalité.

Savante à ses dépens de ce qu'il savait faire,

Elle le soutirait mal auprès d'un adversaire; 300

Mais quoique, par ce triste et prudent souvenir.

De chez Antiochus elle l'ait fait bannir.

Elle aurait vu couler sans crainte et sans envie

Chez un prince allié les restes de sa vie.

Ne fait qu'anéantir la force îles couronnes;

Le droit des rois consiste à ne rien épargner :

La timide équité deltuit l'aride régner. {Pompée, I, 1.)

Mais ce n'est pas seulement chez Corneille qu'on trouvait ces maximes, véri- table lieu commun exploité par tous les poètes contemporains ; le plus honnête et le plus fier peut-être de tous, Rotrou, ne craignait pas d'écrire :

A tout prix un grand cœur aclii'le un grand crédit.

Et tout crime e?t permis quand il nous agrandit. {Bélisaire, II, 3 )

...Les crimes sont beaux dont un trône est le prix...

Un dessein gloiieu.\ est toujours légitime :

S'il passe pour un mal, c'est dans la faible estime

D'un ' spiil abattu. Jamais (les grands dangers un graml coeur ne s'étonne, Et qui n'ose commeltri^ un crime qui couronne. Observe à ses dépens une lAclie vcitu [Innocenle Inftdclitc, 1, 2; V, il.

207. « LégaHlé n'a jamais signifié y«.s7ice, équité, magnanimité: il signifie: authenticité d'une loi revêtue des formes ordinair s. » ('i'oltaire.) C'i'st en s'ap- puyant sur cette critique qu'Andrieuï corrige • « et sa noble équité; >> expression moins juste encore, puisqu'elle prête à la perfide Arsinoé une sincérité d enthou- siasme qui, selon tonte apparence, lui était étrangère. Contre Voltaire, .M. Go- deCmy prouve que le mot de légalité a été souvent employé dans le sens de loyauté, probité, droiture : « La légalité d'Aristides. » (Amyot.) — Ma légalité et liberté. — (Mont.iigno.) — Guy-Patin dit de Naudé : « Il était fort bon ami, fort égal et fort légal. » Ce mot se trouve encore avec cette acception dans le Dictionnaire de lîichelet et dans celui de l'Académie, édition de 17 18 ; il n'en a été retiré que dans l'édition lie 176"2. M. Marty-Laveaus ajoute une observation curieuse : c'est que dans l'édition de 1604 du Dictionnaire de l'Acailémie on définissait légalité : fidé- lité, droiture, probité ; et loyauté : fidélité, probité, avec cette remarque : Il vieil- lit. Ainsi, non seulement légalité et loyauté n'étaient pas distincts avant Corneille; mais, après Corneille même, c'est loyauté qui, en ce sens, paraissait vieillir.

299. Savante de ce qu'il savait, négligence évidente ; mais, prise en elle-même, l'expression savante de n'est nullement un barbarisme, quoi qu'en pense Voltaire et ce n'est pas la seule fois que Corneille s'est servi de cette expression très correcte :

Savante à mes dépens de leur peu de ilurée.

Je ne veux point en gage une foi parjurée. {Mélite, 1559.)

Comme l'observe M. Godefroy, c'est là un simple latinisme : «cîVns a/tcii/usî-eî.

304. Corneille est trop u Romain » pour ne pas essayer de présenter sous un jOur avantageux la politique romaine, même en ce drame ou les Romains sont bravés et un peu humiliés par Nicomède ; mais pour les justifier il faut qu'il donne une légère entorse à l'histoire. Voyez l'Introduction.

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