Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/169

Cette page n’a pas encore été corrigée

INTRODUCTION !57

la passion? Nicomède aimerait-il autant Laodice s'il admi- rait moins la vaillance, exaltée à froid, avec laquelle elle défend contre tous sa dij;nité de femme et de reine? Laodice serait-elle toujours aussi sûre d'elle-même si elle n'était sou- tenue par une admiration sans bornes pour le héros aimé, par une confiance entière dans l'avenir que lui réserve la des- tinée? Présent, Nicomède écliaulfe encore en elle cette fièvre de bravoure et parfois aussi de bravades; absent, son sou- venir, toujours invoqué, est pour elle pkis qu'une défense, c'est une arme; son nom menaçant devient entre ses mains une sorte d'épouvantail qu'avec un plaisir orgueilleux elle agite aux veux de ses ennemis forcés de reculer. On le lui arrache, elle le reconquiert. C'est elle qui soulève le peuple en sa faveur; elle qui, sans souci de sa propre liberté et de sa propre vie, va le chercher jusque dans le palais de Prusias; elle qui, au lieu d'implorer, menace et s'emporte. Mais, en ceci encore semblable à Nicomède, elle redevient clémente dès qu'elle se sait victorieuse :

Ne craignez pUis, Madame : La générosité déjà rentre en mon àme '.

Ce qui est remarquable, c'est qu'en reprenant sa générosité naturelle, elle répond encore d'avance de celle de Nicomède :

Vous devez le connaître ; et puisqu'il a nia foi, Vous devez présumer qu'il est digue de moi. Je le désavouerais s'il n'était magnanime 2.

��Ainsi parlent, ainsi aiment les héroïnes cornéliennes. Elles ne se donnent point au premier Attale venu, au prétendant ohscur qui leur devrait tout : pour les obtenir il faut les mé- riter; mais, quand on les a conquises, on est, pour ainsi dire, le prisonnier de leur admiration exaltée, de leur foi enthou- siaste, qui ne sait pas douter ; on n'a plus le droit de redes- cendre au-dessous de leur idéal, on est contraint d'être et de rester un héros.

Il y a de la grandeur dans cette conception, et cette ému- lation de Nicomède et de Laodice dans l'héroïsme fait un con- traste dramatique avec les hésitations d'Attale, les ruses de

��1. Ntcomède.\,Q,

2. Ibid.. V, 7,

�� �