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INTRODUCTION 145

Si puéi'ilt'meiil injuste qu'elle soit, une telle critique pose du moins la question avec netteté. Aux yeux de La Harpe et des disciples de Voltaire, Nicomède, tragédie et comédie à la (bis, n'a les mérites d'aucun des deux genres et a les désa- vantages propres à tous deux lorsqu'on les confond. Corneille n'y est point vraiment tragique et n'y saurait être franchement comique. Il n'a écrit qu'une œuvre hybride, curieuse sans doute, mais peu attachante.

Quelle est la part de la tragédie dans Nicomède, et comment justifler l'opinion de Geoffroy: « Nicomède est une tragédie unique en son espèce ^ » ? L'opinion de Geoffroy peut, u est vrai, ne pas sembler fort désintéressée ; il répliquait à Voltaire qui a écrit; « Qu'est-ce qu'une tragédie qui ne fait pas pleu- rer? .. L'admiration n'émeut guère l'àme, ne la trouble point. C'est de tous les sentiments celui qui se refroidit le plus tjt-. » Et Geoffroy s'écriait : « Les héros seuls, du moins, l'excitent, tandis que le premiermalheureux ou scélérat excite la pitié. » Et il allait jusqu'rà dire : c< Nicomède attache beaucoup plus que Zaïre. » C'est qu'aux transports furieux des passions, tels que Voltaire les étalait sur la scène, il opposait la vue des grandes vertus, aussi émouvantes selon lui. iMaisGrimm n'avait point d'arriére-pensée, et Grimm écrivait : « Nicomède, tragédie du grand Corneille dans un genre et dans un ton tout à fait sin- guliers, a eu beaucoup de succès. En relisant cette pièce, on trouvera cette élévation, cette simplicité sublime et riaï\equi rapproche si fort le grand Corneille d'Homère ^. » Faut-il l'en croire, ou croira-t-on de préférence l'opinion très dilférente de cet autre critique allemand : « Nicomède est une comé- <lie politique fort sèche, que l'ironie continuelle du héros a bien de la peine à ranimer'* »?

Est-ce cette ironie insaisissable qui a dépaysé les graves Aristarques d'outre-Rhin ? Toujours est-il qu'ils se sont montrés en général peu favorables à l'auteur de Nicomède : on nous dispensera de suivre Lessing dans ses considérations théoriques sur la terreur et la pitié, sur la purgation des passions, sur toutes ces doctrines arislotélicieimes qui ont l'autorité et parfois l'obscurité des oracles". Corneille les a

1. Cours de littérature dramatique.

2. Lettre à d' Argental, 26 déc. 17(31. Remarques sur Nicomède.

3. 1" avril 1755,

4. W. Schlegel, t. II.

5. <i L'exdusion des personnes tout à fait vertueuses qui tombent dans le malheur bannit les martyrs de notro théâtre, l'oliieucte a réussi contre cette maxime, et Héraclius et Nicomède y ont plu, bien qu'ils n'impriment que de la pitié et ne nous donnent rien à craindre, ni aucune passion à purger, puisque nous les

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