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112 iNICOMEDE

périorité de celui qu'a choisi Corneille. Aunibal et Flaminius y soupirent tous deux pour Laodice, transformée en fille de Prusias, ou plutôt en Araminte. On n'y voit point paraître Nicomède, mais parfois on surprend, dans certaines paroles plus fières du maître dégénéré, un écho bien affaibli de l'in- dignation du disciple contre ces rois esclaves,

Méprisés des Romains autant que méprisables.

En vérité, qu'eût fait Corneille de ce soupirant héroïque? Le jeune Nicomède peut, sans ridicule, aimer Laodice, et cet amour même ajoute à l'intérêt du drame, puisque Laodice est reine, puisque la perspective de la réunion des deux cou- ronnes est faite pour donner plus d'ombrage aux Romains '. Autant l'ombre d'Annibal absent, magni nominis umbra, — comme naguère l'ombre de Pompée dans le drame que do- mine son souvenir, — concourt à l'effet tragique, autant sa présence eût été gênanle. Le peindre vainqueur de Rome hu- miliée, c'eût été, en abaissant outre mesure ses adversaires ou en les reléguant dans la pénombre, substituer au tableau de toute une politique l'apothéose banale d'un soldat. Le peindre vaincu, désespéré, mourant, c'eût été rendre ses bourreaux trop décidément odieux, et Corneille avait ses rai- sons pour ne point forcer l'antithèse. Voilà pourquoi, « invi- sible et présent », il préside au drame sans y intervenir.

Voilà pour quelles raisons aussi Corneille ne pouvait songer à Milhridate, physionomie trop marquée, d'ailleurs, pour qu'il en pût modifier les traits essentiels. Choisissant ce héros, vingt ans après, Racine a dû imaginer un nouveau ressort dramatique et déplacer l'intérêt en mettant l'amour au pre- mier plan. Loin de nous la pensée de dénigrer la plus vrai- ment cornélienne des tragédies de Racine ! Mithridale, ce tyran violent et rusé, est peut-être plus vraiment oriental que Nicomède 2, et ceux-là exagèrent assurément qui refusent à Racine tout sens historique ; Milhridate et Britannicus, sans parler à'Athalie, leur donneraient un démenti. La charmante Monime, tantôt si simple dans sa résignation, tantôt si fière devant l'outrage, si forte devant la mort, est plus femme sans doute que l'altière Laodice. Reine et libre, celle-ci peut se donner à Nicomède, alors que Monime, « esclave cou-

��\. Examen de A'^icomède.

2. u 11 y a dans la témérité altière de Nicomède quelque peu de jactance, qui semblerait tenir de l'Espagnol bien plus que d'- ï«\thynien. » (Naudet.)

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