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128 NICOMÈDE

mois de février 1651 que Mazarin alla lui-même ouvrir les portes de la prison du Havre aux princes de Conde et de Conli. Avant celte délivrance, la Iragédie de Corneille avait élê {uo- bablement représentée, certainement écrite. Corneille n"avait donc pas poursuivi le succès facile de raclualité.

Toutefois, en peignant Mcomède, n'a-t-il pas songé à ce prince de Condé, prisonnier alors, mais qui devait bientôt sortir de sa prison « comme un homme qui élail plus en état de faire grâce que de la demander* » ? Tous deux ne sont-ils pas de glorieux soldats qui font sonner bien haut leurs exploits et rendent la reconnaissance pesante à ceux qu'ils ont trop bien servis? N'ont-ils pas le même mépris du danger, la même ironie hautaine, volontiers agressive, qui brave en face i'ad- versaire, le même penchant à la raillerie cruelle'? Ne tombent- ils pas dans les mêmes pièges, par trop de confiance en eux- mêmes? N'en sortent-ils pas victorieusement, à l'égale confu- sion de leurs ennemis? Mais là s'arrêterait la ressemblance. Quand il n'est pas poussé à bout, iNicomède garde la pleine possession de lui-même, et le trait caractéristique du person- nage est précisément l'empire qu'il a sur son âme. Personne ne sut moins se maîtriser que Condé : ses hésitations, ses palinodies, ses folles terreurs, sont trop connues; ne vit-on pas un jour le vainqueur de Rocroy fuir à bride abattue devant une troupe de coquetiers qui amenaient leurs deni'ées au marché de Paris ! Impétueux et irréfléchi, il fut la dupe de Mazarin, toujours tremblant en apparence devant le héros toujours menaçant.

Mazarin n'est pas davantage Flaminius, pas plus qu'Arsinoé n'est Anne d'Autriche. En si mauvaise posture que Flaminius semble rester à la fin de la pièce, il y garde encore le front haut; désarmé, il trouve encore des paroles dignes et fermes. Cet impassible représentant de la politique romaine n'a que peu de traits communs avec le souple et obséquieux ministre qui caressait jusqu'aux vaincus, se confessait à eux des torts même qu'il n'avait pas, et paraissait leur demander pardon d'avoir été le plus fort. D'autre part, Anne d'Autriche, malgré son indolence, peut avoir été aussi vindicative qu'Arsinoé ; mais a-t-elle atteint jamais à cette perfection dans la per- fidie?

Tout parallèle de ce genre une fois écarté comme inexact et contraire à l'essence même du drame, qui admet les carac- tères généraux plus que les portraits individuels, il faut con- venir pourtant que les contemporains n'avaient pas à chercher

1. Mémoire* de La Rochefoucauld.

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