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SUR DON SAiNCIlE D'ARAGON 119

ce im'il y a de trop absolu, même poui' le temps, daus cette asscr- tiou, uous observerons seulement que les conditions de la vie so- ciale se sont transformées depuis à tel point que le dr.un ■. image plus ou moins fidèle de la société où il s'épanouit, a pu et dû se transformer avec elles.

Au temps de Corneille, l'élite de la nation attirait seule les regards. Ce n'était point par esprit de flatterie que les poètes et les mora- listes lui empruntaient les traits essentiels dont ils composaient leurs caractères. Où les auraient-ils pris en dehors d'elle? Où au- raient-ils trouvé la vie énergiquement personnelle, le relief indivi- duel et vivant, Théroisme qui sait agir et qui sait parler, les fortes situations qui sont dignes du drame? Dans la pénombre sans doute se cachait plus d'un héroïsme silencieux, plus d'un dévoue- ment prêt aux grands sacrifices. Mais bien rarement il leur était donné de monter, pour ainsi dire, à la luiuièrc, et d'être autant admirés qu'ils étaient admirables. Les occasions faisaient défaut. ■Vue d'en haut, toute cette surface inférieure semblait plate etba- nale. Au contraire, après la grande crise révolutionnaire, le drame est partout , parce que les rangs ont été brusquement nivelés, parce que tout est possible à tous, parce que la noblesse de l'àme ne pa- rait plus inséparable delà noblesse du nom, parce qu'enfin il n'est pas besoin d'être reconnu don Sanche au dénouement pour avoir les sentiments élevés et le fier langage de Carlos.

Encore peut-on juger, avec beaucoup de bons esprits, que, pour être intéressant, le drame doit élever ses personnages jusqu'à lui, et non pas descendre jusqu'à eux; qu'une élite, quelle qu'elle soit, garde toujours le privilège de la grandeur, du moins de la gran- deur vraiment dramatique, dans les situations, dans les actions, dans le langage ; que l'accomplissement du devoir ou l'asservisse- ment à la passion, dépourvus de cette grandeur tragique, ne sont pas faits pour nous émouvoir : qu'en un mot l'homme au théâtre n'a chance de plaire à l'homme que si sa nature est élevée, pour ainsi dire, à la suprême puissance. Or, qui est le plus homme, de ce bourgeois qui uous ressemble et nous fait souvenir de nos propres faiblesses, ou de ce héros en qui s'incarnent, idéalisés, nos plus nobles instincts? D'après l'auteur de la lettre à .M. de Zuylichem, c'est dans la mesure où il se rapproche de nous que le personnage dramatique a chance de nous émouvoir; mais tout le théâtre du poète dit assez haut que ceux-là surtout nous émeu- vent qui sont plus hommes que uous.

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