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66 POMPEE

Une indigne curée aux vautours de Pharsale;

11 fuit Rome perdue, il fuit tous les Romains,

A qui par sa défaite il met les fers aux mains; 60

Il fuit le désespoir des peuples et des princes

Qui vengeraient sur lui le sang de leurs provinces,

Leurs Etals et d'argent et d'hommes épuisés,

Leurs trônes mis eu cendi'e, et leurs sceptres brisés.

Auteur des maux de tous, il est à tous en butte, 65

Et fuit le monde entier écrasé sous sa chute.

��58. La curée, c'est proprement la portion de la béte que l'on donne aux chiens après qu'elle est prise. Est-ce parce que c'est un terme de vénerie que Voltaire juge « basse » cette expression si poétique, au contraire, cette métaphore si énergique, reprise et affaiblie par Brébeut' :

Ces oiseaux dont la gorge est de sang altérée. Qui du sang des Romains ont souvent fait curée. Ces tombeaux animés, ces sépulcres volants. Vont se gorger de meurtre »« ces funestes champs.

59. c( Perdue n'est pas le mot propre : on ne fuit pas ce qu'on a perdu. » (Voltaire.) — « On fuit une ville qu'on a perdue en défendant mal sa liberté, dont on s'était déclaré le protecteur; on la fuit par un sentiment de honte de l'avoir laissée en proie aux tyrans qu'on s'était flatté de vaincre, et voilà ce que Rome se promettait de l'appui de Pompée. » (Palissot.)

61. Tout ce passage est imité de Lucain :

Nec soceri tantum arma fugit, fuqit ora senatiu,

Cujus Thessaticas saturât pars inaijna volucres.

Et metxiit pentes, quas ww in samjuino mixtas

Deseridt, ret/esque timet, quorum omnia mersit. (Lucain, Vni, B06-809,)

62. Var. Qui veut venger sur lai le sang de leurs provinces. (1644-56.)

Chez les tragiques de la première moitié du xvii" siècle, province équivaut à État :

Oh ! le grand roi (ju'en vous attend cette province ! (Rotron, Don Lope, I, ♦.) Voas m'avez engendrée à toute la province. (Id., Ipldgénie, FV, 6.)

65. n est à tous en butte, il est exposé à la haine, à la vengeance de tous. M. Littré définit butte le massif de terre où l'on place le but pour tirer et viser. 11 n'est donc pas étonnant que, dans les acceptions figurées, on ait vite confondu ia butte et le but-, mais butte a longtemps conservé son sens propre, et Rotrou peut écrire, par exemple :

Les plus grands à ses coups sont de plus grandes buttes. {Bereule mourant, IIL 3.)

Seul, la butte, l'objet et l'estime de tous. (Bélisaire, \, 1.)

Voas m'entreprenez seul, seul je vous suis en hutte. (Antigone, V, 6.)

Songez à quels malheurs vous l'expnsez en butte. (Cosroès, II, 1.)

C'est seulement dans cette dernière acception que la locution être en butte a survécu, car on ne dit plus • être en butte à quelqu'un, mais seulement : être en butte à quelque chose. Dans la dernière tragédie de Corneille, on lit encore : « Suréna, mis aux Romains en butte. » (Suréna, 757.)

66. u Jamais Corneille ne s'est élevé plus haut que dans cette exposition des motifs, véritable arrêt de condamnation de Pompée, jamais il n'a paru posséder une connaissance plus approfondie de l'histoire. Il avait lu les Verrines, il avait été frappé de l'insolente tyrannie des proconsuls ; il savait que c'était par là que la République devait périr. » (Desjardins, le Grand Corneille historien.)

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