Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée

EXAMEN DE POMPÉE 55

la même passion qu'ils avaient eue pour elle, et fît voir qu'elle ne s'était attachée qu'à la haute puissance d'Antoine, et non pas 9, sa personne.

Pour le style, il est plus élevé en ce poème qu'en aucun des miens, et ce sont, sans contredit, les vers les plus pompeux que j'aie faits. La gloire n'en est pas toute à moi: j'ai traduit de Lucain tout ce que j'y ai trouvé de propre à mon sujet; et, comme je n'ai point fait de scrupule d'enrichir notre langue du pillage que j'ai pu faire chez lui, j'ai tâché, pour le reste, à entrer si bien dans sa manière de former ses pensées et de s'expliquer que ce qu'il m'a fallu y joindre du mien sentît son génie et ne fût pas indigne d'être pris pour un larcin que je lui eusse fait^ J'ai parlé, en l'examen de Polyeucte, de ce que je trouve à dire en la confidence que fait Cléopàtre à Charmion au second acte; il ne me reste qu'un mot touchant les narra- tions d'Achorée, qui ont toujours passé pour fort belles : en quoi je ne veux pas aller contre le jugement du public, mais seulement faire remarquer de nouveau que celui qui les fait et les personnes qui les écoutent ont l'esprit assez tranquille pour avoir toute la patience qu'il y faut donner. Celle du troi- sième acte, qui est à mon gré la plus magnifique, a été accusée de n'être pas reçue par une personne digne de la recevoir; mais, bien que Charmion, qui l'écoute, ne soit qu'une domes- tique de Cléopàtre, qu'on peut toutefois prendre pour sa dame d'honneur, étant envoyée exprès par cette reine pour l'écouter, elle tient lieu de cette reine même, qui cependant montre un orgueil digne d'elle, d'attendre la visite de César dans sa chambre sans aller au-devant de lui. D'ailleurs, Cléopàtre eût rompu tout le reste de ce troisième acte si elle s'y fût montrée; et il m'a fallu la cacher par adresse de théâtre, et trouver pour cela dans l'action un prétexte qui fût glorieux pour elle, et qui ne laissât point paraître le secret de l'art qui m'obUgeait à l'empêcher de se produire.

1. Dans la préface de sa traduction, Brébeuf écrira : u Si je ne me sens pas assez de génie pour le soutenir paftaitoment dans les endroits où il s'est le plus élevé, du moins je tâciie en ((uelqnes façons de rehausser ceux qui tombent, et ce n'est pas faute desoins ni d'application si je ne su»s quelquefois un peu plus fort que lui daas les endroits où il est le plus faible. >

�� �