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INTRODUCTION 45

la tragédie ; il est difficile de ne pas le signaler, après tant de critiques, parmi lesquels nous ne citerons que Schlegel. « Les manœuvres de Ptolomée et la coquetterie intéressée de sa sœur Cléopâtre font un contraste mesquin avec la mort du grand Pompée, la profonde douleur de Cornélie et la pitié magnanime de César. A peine le vainqueur a-t-il rendu les derniers devoirs à l'ombre courroucée de son ennemi qu'il tombe aux pieds de la plus belle des reines; ce n'est pas seu- lement un nommage qu'il lui présente, mais il est amoureux avec des soupirs et des Ëammes. Cléopâtre de son côté, sui- vant l'expression du poète, veut à force d' « œillades » se res- saisir du sceptre de son frère*. » Sans excuser Corneille ni les fades galanteries que débitent ses héros, on peut expliquer comment il est tombé dans cette erreur.

En premier lieu, l'histoire nous entretient des nombreuses galanteries de César et en particulier de sa passion pour Cléo- pâtre ; mais le poète avait le droit de modifier, comme il l'a fait souvent, les données historiques. Puis, on ne concevait point de tragédie sans amour; il était de bon goût qu'un héros soupirât, et les héros historiques ne faisaient pas excep- tion, tant la galanterie, à la veille delà Fronde, semblait insé- parable de la politique. Enfin, cette galanterie s'exprimait dans un langage quintessencié, dont on trouve des traces jusque dans Horace, Cinna, Polyeucte. Non seulement ce mélange équivoque de situations tragiques et de madrigaux ne choquait pas les contemporains, mais ils y voyaient une des beautés originales du théâtre cornélien : Saint-Evremond doutait qu'aucun des génies de l'antiquité eût pu faire par- ler d'amour César et Cléopâtre, Massiuisse et Sophonisbe, « aussi galamment que nous les avons ouïs parler dans notre langue ^ ». Corneille le remercia de cet éloge équivoque par une lettre où il expose sa théorie sur le rôle de l'amour dans le drame : « Que vous flattez agréablement mes senti- ments, quand vous confirmez ce que j'ai avancé touchant la part que l'amour doit avoir dans les belles tragédies, et la fidélité avec laquelle nous devons conserver à ces vieux illus- tres les caractères de leur temps, de leur nation et de leur humeur ! J'ai cru jusqu'ici que 1 amour était une passion trop chargée de faiblesse pour être la dominante dans une pièce héroïque ; j'aime qu'elle y serve d'ornement, et non pas de corps, et que les grandes âmes ne la laissent agir qu'autant

> ^. Cours de littérature dramatique, II, p. 187.

2. Jur/cment sur Sénéque, Plutargue et Pétrone. Voyez aussi la Dissertation ÊW l'Alexandre de Racine.

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