Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/57

Cette page n’a pas encore été corrigée

femmes qui ont ces parties et ces sciences-là. Davantage elle estoit fille d’un père auquel on n’eust sceu que reprendre ny quant à la noblesse de sa race, ny quant à l’honneur de sa vie. Toutefois les uns reprenoient en ce mariage que l’aage n’estoit point sortable, pour que ce Cornelia estoit jeune assez pour estre plutost mariée à son fils ’. »

Où est cette jeune femme d'un vieux mari, cette musicienne et cette lettrée, belle sans coquetterie, instruite sans pédantisme ? Corneille nous l’a cachée; il n’a voulu nous laisser voir que la veuve de Pompée, que la fille des Scipions, que l’héritière des rancunes et de la dignité fière du patriciat.

Cornélie ne serait-elle donc qu’une abstraction pure ? Au lieu de peindre une femme, le poète n’aurait-il réussi qi’à rendre sensible une idée ? Gardons-nous de le croire; épargnons à Cornélie une comparaison peu équitable avec Ândromaque, cette autre veuve célèbre, moins aitière, mais plus touchante. Andromaque, d’ailleurs, est mère autant que veuve ; Cornélie ne peut nous toucher que par son veuvage ; mais est-il vrai qu’héroïne avant tout, elle ne soit qu’un froid symbole et qu’il ne reste rien en elle de la femme ? Si nous ne haïssions ces sortes de formules, nous dirions volontiers qu’il faut distinguer en Cornélie trois personnes, l’héroïne, la veuve et la femme, celle-ci plus eiïacée. « L’héroïne domine la veuve, mais la veuve soutient l’héroïne. Ne nous y trom- pons point : Cornélie emprunte à son veuvage tout ce qui fait sa grandeur. Elle ne poursuit César qu’au nom de Pompée, au nom de son mari. Prêtez-lui d’autres sentiments, faites qu’elle soit seulement une héroïne de la guerre civile, et qu’elle songe plutôt à la république opprimée qu’à son mari vaincu, aussitôt l’héroïne nous déplaît, tant il y a encore de la veuve dans l’héroïne, quoi qu’en dise Saint-Évremond *. » Si l’héroïne est au premier plan, c’est que la veuve de Pompée n’est pas une veuve ordinaire, pas plus que Pompée n’était un vulgaire mari ; les intérêts de la politique se confondent ici avec ceux de la famille, la défense de la liberté avec la vengeance de Pompée. Mais ce personnage serait bien peu dramatique s’il n’éveillait que l’admiration, s’il découra- geait la sympathie. Ce serait sans doute un paradoxe de soutenir que Cornélie est femme autant qu’héroïne; chez elle, comme chez beaucoup des femmes de Corneille, l’étalage des sentiments héroïques fait un peu tort à la grâce féminine. Mais comment ne pas l’aimer, en l’admirant, cette matrone

1 Plutarque, Vie de Pompée, ch. 57.

3. Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique, IV, 65.