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INTRODUCTION 35

vécu, il sait bien mourir: Prusias ne serait pas mort ainsi.

Qu'on replace par la pensée ce simulacre de roi dans la cour où il végète, qu'on se le figure en tare de Photin, ce pré- curseur du iNarcisse de Racine, mais un Narcisse politique et qui dogmatise, on apercevra les petits comme les grands cô- tés de la tragédie cornélienne, ici les intérêts misérables de la cour d'Egypte, là ceux de la liberté, de Rome et du monde. Sans doute, Pholin est moins discret, moins insinuant que Narcisse; il est trop gratuitement cynique et pourrait se dis- penser de mettre, pour ainsi dire, sa scélératesse en maximes. Mais c'est le Photin de Lucain rcyeuni par Corneille, c'est le digne conseiller d'un Ptolomée. N'y a-t-il point quelque gran- deur dans cette antithèse qui met Pompée le Grand aux prises avec un valet égyptien, et qui donne la victoire au va- let? N'est-ce pas la revanche du monde asservi ?

On peut juger, il est vrai, que Pompée est mal choisi pour personnifier la liberté romaine expirante. Les historiens mo- dernes n'ont pas épargné la mémoire du rival de César ; l'Al- lemand Mommsen s'est distingué entre tous par son acharne- ment. Avant eux, Montesquieu avait jugé Pompée et César « également ambitieux » ; seulement, ajoutait-il, « Pompée avait une ambition plus lente et plus douce que celle de Cé- sar. Celui-ci voulait aller à la souveraine puissance les armes à la main, comme Sylla ; cette façon d'opprimer ne plaisait point à Pompée : il aspirait à la dictature, mais par les suf- frages du peuple ; il ne pouvait consentira usurper la puis- sance, mais il aurait voulu qu'on la lui remît'. » Cette vanité puérilement solennelle, ce caractère hésitant, cette dissimu- lation qui voilait le manque absolu de vues précises et sui- vies, ce désintéressement affecté, ont été plus d'une fois oppo- sés à la volonté puissante et tranquille de César 2. Lucain et Velleius Paterculus sont d'accord pour affirmer qu'il ne pou- vait point souffrir d'égal. Grisé par les triomphes, adulé par tous, aux jours de sa toute-puissance il semblait à Cicéron le plus vertueux, le plus sage et le plus grand homme de son siècle et de tous les siècles ^. Mais vienne l'infortune, qui dé- voile les défauts cachés, et le même Cicéron, partant pour le camp de Pompée, écrira de ce chef de parti qui ne sait rien diriger : « Nec vero ille me diicU, quem ego hominem àTo?.iTtxdi>rarov omnium jam ante cognoram^ mine vero etiam ÀvTparvj'yixâTaTov. » Puis, en apprenant la mort de Pompée,

1. Considérations, ch. xi.

2. Voyez Cicéron et ses amis de M. Boissier, p. 239 à 242.

3. Ad populum pro reditu, Vil. Voyez aussi le Pro lege JUanilia.

4. LeUre à Atticus.

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