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34 POMPÉE

ni vouloir sans le secours de ses conseillers ordinaires, un soldat, un transfuge, un eunuque. Peut-être, au fond, n'a-t-il qu'un désir, c'est de se faire dicter par eux la résolution vers laquelle il incline déjà secrètement ; en tout cas, dès qu'ils ont donné leur avis, il s'y attache avec passion, il l'exécute avec emportement. C'est l'homme des soudains caprices et des colères soudaines, le politique prêt à tout, qui sait que « pour le bien de l'Etat tout est juste ^ >>, mais qui ne sait point se contenir, même en face de sa sœur Cléopâtre, dont la malicieuse réserve l'exaspère. Le frère et la sœur engagent une lutte inégale, où la souple Cléopâtre n'a pas de peine à triompher, où Ptolomée, toujours un peu gauche, surtout quand Photin doit se taire, joue un rôle voisin parfois du ri- dicule. 11 ne faut pas, en effet, que les grandes choses nous cachent les petites, et que le drame dont le port d'Alexandrie est le théâtre nous fasse oublier les sourdes intrigues qui troublent le palais, on serait presque tenté de dire le sérail. Conserver le pouvoir que convoite Cléopâtre, voilà l'unique préoccupation de Ptolomée ; ses bassesses comme ses crimes s'expliquent par là. C'est pour s'y maintenir qu'il assassine Pompée, qu'il flatte sa sœur après l'avoir menacée, qu'il se prosterne aux pieds de César, qu'elfrayé un moment par la colère du vainqueur, il essaye de plaider sa cause et d'oppo- ser les petites raisons d'une politi((ue ingrate et égoïste à la grandeui- d'âme d'un héros ; qu'enfm, furieux plus encore que surpris d'avoir « trouvé son maître », désespéré d'avoir tant fait pour n'aboutir à rien, il veut frapper par derrière celui devant qui il s'humiliait tout à l'heure.

Ptolomée n'est point criminel par nature, il ne l'est que par occasion; c'est une de ces âmes vulgaires qui deviennent cou- pables à force d'être viles. Par son abjection, il se rapproche de Prusias, ce roi servile qui échangeait sa couronne contre un bonnet d'affranchi ; mais Prusias, aussi ingrat envers Ni- comède que Ptolomée l'est envers Pompée, aussi humble de- vant Flaminius que Ptolomée devant César, est un personnage moins tragique pourtant : outre qu'il n'est souillé du sang de personne, il est, d'un bout à l'autre du drame, si risiblement effaré, si naïvement désireux de conserver la pesante amitié des Romains, qu'il désarme l'indignation en éveillant le sou- rire. Si Ptolomée l'éveille parfois aussi, du moins il se sou- vient mieux qu'il est roi ; s'il obéit à Rome, c'est en la détes- tant ; s'il dévore les affronts en silence, c'est pour les faire payer chèrement à César. En tout cas, après avoir lâchemenl

l. Acte II< se. m.

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