INTRODUCTION 31
buste toute sa souplesse, les bras nus s'échappant de longues manches flottantes, une ceinture de pierreries dessinant la taille, les cheveux poudrés relevés sur le front et retombant mollement sur les épaules, ce n'est pas assurément ainsi qu'étaient vêtues Ariane ou Cornélieà Alexandrie ou àNaxos, mais c'est un costume de théâtre dont la convention ne man- que ni de goût, ni d'élégance, ni d'une certaine majesté *. » Cependant, Rousseau ne se déclarait pas satisfait; dans la Nouvelle Héloîse, il se plaint qu'au théâire on voie toujours l'acteur, jamais le personnage. « La veuve de Pompée, dit- il, est Adrienne. On voit Cornélie en pleurs avec deux doigts de rouge, Caton poudré à blanc et Brutus en panier 2, »
Se souvenait-elle de Rousseau, lorsque dans ses Mémoires, M"® Clairon écrivait : « L'ignorance et la fantaisie font faire tant de contre-sens au théâtre qu'il est impossible que je les relève tous ; mais il en est un que je ne puis passer sous si- lence, c'est de voir, dans la tragédie de Pompée, Cornélie arriver en noir. Le vaisseau dans lequel elle fuit, le peu de moments qui se sont écoulés entre l'assassinat de son époux et son arrivée à Alexandrie n'ont pu lui laisser le temps ni les moyens de se faire faire des habits de veuve, et certaine- ment les daines romaines n'avaient point la précaution d'en tenir de tout prêt dans leurs bagages. La célèbre Lecouvreur, en se faisant peindre dans ce vêtement, prouve qu'elle le por- tait au théâtre. Ce devrait 'être une autorité imposante pour moi-même; mais, d'après la réputation qui lui reste, j'ose croire qu'elle n'a fait cette faute que d'après quelques raisons que j'ignore, et qu'elle en sentait ellp-même le ridicule. » Une rivale de M"'^ Clairon, M" Dumesnil, s'est chargée de lui répondre : <c Etes-vous bien sûre qu'il fallût h une dame romaine, pour se mettre en deuil, tout l'attirail d'une dame française? Etes-vous bien sûre qu'elle eût besoin de mar- chandes de modes, de cordonniers, de tailleurs, de frangiers, de bijoutiers pour se revêtir des habits funèbres ? Il est à croire que la célèbre Lecouvreur ne s'est permis aucune innovation en portant des habits de deuil dans le rôle de Cornélie ; il est à. croire que l'actrice qui l'avait précédée jouait le rôle dans le même costume sous le yeux de Cor- neille 3. »
M"^ Dumesnil avait raison, et plus raison peut-être qu'elle ne le croyait : non seulement, en effet, avant Corneille et
��1. M. Perrin, Etude sur la mise en scène.
2. Nouvelle Héloîse, (I, 17.
3. Mémoires pour Marie-Françoise Dumesnii,
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