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64 AVERTISSEMENT.

Voilà ce que m'a prêté l'histoire, où j'ai changé les circon- stances de quelques incidents, pour leur donner plus de bien- séance. Je me suis servi du nom de Nicanor plutôt que celui de Démétrius, à cause que le vers souffrait plus aisément l'un que l'autre. J'ai supposé qu'il n'avait pas encore épousé Hodogune, afin que ses deux fils pussent avoir de l'amour pour elle, sans choquer les spectateurs, qui eussent trouvé étrange cette passion pour la veuve de leur père, si j'eusse suivi l'histoire. L'ordre de leur naissance incertain, Rodogune prisonnière, quoiqu'elle ne vint jamais en Syrie, la haine de Cléopàtre pour elle, la propo- sition sanglante qu'elle fait à ses fils, celle que cette princesse est obligée de ieur faire pour se garantir, l'inclination qu'elle a pour Antiochus, et la jalouse fureur de cette mère qui se résout plutôt à perdre ses fils qu'à se voir sujette de sa rivale, ne «ont que des embellissements de l'invention, et des acheminements vraisemblables à l'effet dénaturé que me présentait l'histoire, et_ que les lois du poème ne me permettaient pas de changer. Je l'ai même adouci tant que j'ai pu en Antiochus, que j'avais fait trop honnête homme dans le reste de l'ouvrage, pour forcer à la fin sa mèie à s'empoisonner elle-même.

On s'étonnera peut-être de ce que j'ai donné à cette tragé- die le nom de Rodogutie plutôt que celui de Cléopàtre, sur qui tombe toute l'action tragique, et même on pourra douter si la liberté de la poésie peut s'étendre jusqu'à feindre un sujet en- tier sous des noms véritables, comme j'ai fait ici, où, depuis la narration du premier acte, qui sert de fondement au reste, jus- ques aux effets qui paraissent dans le cinquième, il n'y a rien que l'histoire avoue.

Pour le premier, je confesse ingénument que ce poème devait plutôt porter le nom de Cléopàtre que de Rodogune; mais ce qui m'a fait en user ainsi a été la peur que j'ai eue qu'à ce nom le peuple ne se laissât préoccuper des idées de cette fameuse et dernière reine d'Egypte, et ne confondît cette reine de Syrie avec elle, s'il l'entendait prononcer. C'est pour cette même rai- son que j'ai évité de le mêler dans mes vers, n'ayant jamais fait parler de celte seconde Médée que sous celui de la reine; et je me suis enhardi à cette licence d'autant plus librement, que j'ai remarqué parmi nos anciens maîtres qu'ils se sont fort peu mis en peine de donner à leurs poèmes le nom des héros qu'ils y taisaient paraître, et leur ont souvent fait porter celui des chœurs , qui ont encore bien moins départ dans l'action que les personnages épisodiques, comme Rodogune : témoin les Tra- chiniennes de Sophocle, que nous n'aurions jamais voulu nom- mer autrement que la Mort d'Hercule.

Pour le second point, je le tiens un peu plus difficile à résoudre, et n'en voudrais pas donner mon opinion pour bonne : j'ai cru que, pourvu que nous conservassions les effet.'! de l'his-

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