Et je me trouve encor la main qui crayonna L'ame du grand Pompée et l’esprit de Cinna^?
Ainsi, aux yeux de Corneille, le Ciel, Horace, Cinna, Pompée, voilà les quatre points culminants de son théâtre ; Polyeucte est oublié. Longtemps après, vieux et triste, ranimé un mo- ment par la nouvelle que le roi avait fait reprendre à Ver- sailles, en 1676, des œuvres déjà éclipsées par celles de son heureux rival, il s’écriait, dans un élan de reconnaissance :
Est-il vrai, grand monarque, et puis-je me vanter
Que tu prennes plaisir à me ressusciter,
Qu’au bout de quarante ans Cinna, Pompée, Horace
Reviennent à la mode et reprennent leur place 2 ?
Un jour viendra bientôt où le jeune rival lui-même, désarmé enfin parla mort de son vieux précurseur, sentira que l’équité lui est plus facile : chargé de recevoir à l’Académie Thomas à la place de Pierre, que Thomas ne risquait pas de faire oublier, il rappellera, dans un langage digne de tous deux, ce que Pierre a fait et ce qu’il a permis aux autres de faire; mais, par une singulière coïncidence, en énumérant les chefs-d’œuvre du grand tragique, il substituera encore Pompée à Polyeucte. « La scène retentit encore des acclamations qu’excitèrent à leur naissance le Cid, Horace, Cinna, Pompée^ . » L’accord est donc complet entre les contemporains pour classer Pompée au premier rang des grandes créations de Corneille : depuis l’époque où Rotrou, par un généreux anachronisme, faisait glorifier par un comédien ordinaire de Dioclétien ces poèmes sans prix qui, fidèles tableaux de l’esprit romain,
- Portent les noms fameux de pompée et d’Auguste»,
jusqu’à celle oh Saint-Evremond et Mme de Sévigné — Rotrou n’étant plus là — plaident avec chaleur une cause déjà compromise, personne ou presque personne ne distingue entre Pompée et les tragédies antérieures. Saint-Evremond en admirait tout, et la fîere douleur de Cornélie, et même les galanteries de César ^. Avec quel orgueilleux contentement Cor-
i. Vers à Fouquet, en tête d’Œdipe (1659).
2. Au roi, 1676.
3. Discours à l’Académie (1685).
4. Saint-Genest. l, 5. (1646).
5. Voyez plus loin, dans la quatrième partie de l’Introduction, un passage du Jugement sur Sénéque, Plutarque et Pétrone.