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INTRODUCTION. 66

elle-même en sera diminuée : « Le titre de mère que garde Cléo- pâtre*, quoiqu'elle l'oublie d'une façon si horrible, ce titre même, en la rendant plus criminelle, prête à ses passions je ne «ais quelle effroyable grandeur, digne de la tragédie. Si Cléo- pâlre n'était pas mère, elle perdrait à l'instant même une partie de l'horreur tragique qu'elle inspire : ce ne serait plus qu'une ambitieuse, ce ne serait plus qu'une femme irritée et vindica- tive. Elle a besoin pour nous épouvanter que nous nous souve- nions de ces sentiments maternels qu'elle a étouffés, et ce titro sacré de mère se sent encore là même oiî il est détruit. »

Qu'on ne juge donc point inutile la double scène qui suit la double proposition; car elle resserre l'union d'Antiochus et de Séleucusau moment où cette union est le filus nécessaire : d'une part, Cléopâtre et Rodogune divisées, de l'autre les deux frères unis, voilà tout le fond de la tragédie. Ajoutons que cette union, quoi qu'en dise Voltaire, ne se maintient pas sans de cruels sacrifices. Il est vrai qu'on juge inutile aussi la noble renoncia- tion de Séleucus au trône et à Rodogune. C'e^t pourtant cette résignation désintéressée qui cause sa mort, en irritant CI iopâtre, et prépare ainsi le dénouement. Cette fin tragique d'un prince jeune, à l'esprit irréfléchi, mais au cœur chaleureux, est d'au- tant plus touchante qu'il vient de se montrer capable d'un acte de générosité. De son côté, .\ntiochus, rivalisant de iélicatesse avec lui, a refusé d'accepter un sacrifice trop promptement ré- solu. Roi et fiancé de Rodogune, il oublie son bonheur, quand il a perdu Séleucus, et s'écrie, dans un de ces vers simples et forts que les Grecs eussent enviés à Corneille:

O frère plus aimé que la clarté du jour 'I

La fin de Séleucus entraîne d'ailleurs celle de Cléopâtre, et la sincère douleur d'Antiochus semble prolonger au delà de la mort l'immortelle amitié des deux frères.

Si le rôle, tant critiqué, des princes est nécessaire à l'action, qu'on ne pourrait concevoir sans eux, si par leur seule présence ils retardent une crise inévitable et amortissent les coups dont ils souffrent eux-mêmes, il est d'autres rôles dont le sacrifice serait moins impossible. Au premier plan, Cléopâtre et Rodo- gune se menacent; au second Antiochus et Séleucus se rappro- chent; au troisième enfin, Timagène, Laooice, Oronte, suivent

1. Saint-Marc-Girardia, Crur» d$ lUleialare druuMliqiU, I, 18.

2. A.cte V, «c. IV

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