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n'est que l'ccho de son frère: il parle sur u:i auUô loti, mais pour ne rien dire de plus. Au contraire, quand Cléopâtre a dé- chiré tous les voiles, quand la raison confondue doit se taire, et que seule la passion élève la voix, Antiochus n'est plus que l'é- cho de Séleacas, dont ses plaintes ponctuent, pour ainsi dire, les malédictions. Un moment vient pourtant où Séleucus s'em- porte trop loin, et c'est alors Antiochus qui se charge de le rap- peler à la inesure. Sa douleur respectueuse contraste avec la co- lère irréfléchie de Séleucus, plus facile à émouvoir, mais plus perspicace ici : car il a deviné Cléopâtre, et les mœurs de ces cours d'Asie, pour lesquelles, nous le craignons, ni l'un ni l'au- tre n'ésl fait. Antiochus est aveugle ou veut l'être; il ne peut se résigner à haïr ni Cléopâtre ni Rodogune ; il refuse de les en croire elles-mêmes, jusqu'au moment où, éclairé à demi, il les confondra toutes deux dans une même défiance, dont Rodogune a le droit d'être blessée.

Cette vertu un peu molle et indécise est écrasée, il faut bien le dire, par le dangereux voisinage du vice triomphant et cyni- que. Toujours honnêtes, les deux princes sont toujours dans l'embarras; habitués à l'obéissance, ils ne savent comment s'y prendre pour désobéir. Ce sont d'excellents jeunes gens, que Ti- magène a fort bien élevés, mais plutôt, ce semble, en vue de la vie intérieure que du trône de Syrie. Du moins la douceur de leur amitié nous repose de tant d'émotions violentes; à chaque monologue passionné de Rodogune ou de Cléopâtre correspond un duo plaintif des deux princes. <t L'amitié des deux frères, dit Voltaire*, ne fait pas le grand effet qu'on en attend, parce que l'amitié seule ne peut produire de grands mouvements au théâ- tre que quand un ami risque sa vie pour un ami en danger. L'amitié qui ne va qu'à ne point se brouiller pour une maî- tresse, est fro;de, et rend l'amour froid. » Pour nous, ces ser- ments d'éternelle amitié ne nous laissent pas froids, lorsque nous voyons l'amitié triompher de l'ambition et de l'amour. Chacune de ces scènes fraternelles est une courte éclaircie entre deux orages: car les deux princes sont les seuls personnages essen- tiels sur qui notre sympathie puisse toujours s'anôler, sans crai'idre de déception; s'ils sont malheureux, c'est par la faute des autres. L'héroïsme touchant de l'amour fraternel fait un heureux contraste avec ce qu'on pourrait appeler l'héroïsme au- dacieusement criminel de Cléopâtre. Supprimez-le : Cléopâtre

1. Kti tarqxui sur Hodogun*, «et« III, ic it.

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