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52 RODOGDNE.

esprits irrésolus, encore mal connus d'elle, les promesses perfi- des de son ennemie; ce qu'elle sait à merveille, c'est que tous deux l'aiment, avant d'aimer le pouvoir. En opposant l'amour à l'ambilion, elle neutralisera l'une par l'autre. Sollicités en sens divers, consternés, épouvantés, Séleucus et Antiochus ne sauront que faire; pendant ce temps, elle agira.

Mais en jouant ainsi avec l'amour des autres, elle a oublié le sien, dont Antiochus lui arrache la confession. Dès lors, elle renonce à loiite pen.^ée de vengeance, mais elle ne se laisse point aller aux démonstrations d'une tendresse niaise : en déclarante Antiochus qu'elle l'aime, elle lui déclare aussi qu'elle accom- plira jusqu'au bout son devoir de reine. Quand Cléopâtre, [)ar une réconciliation simulée, lui permet de concilier son devoir et son affection, elle oublie tout et se montre prête à respecter comme une mère celle qui l'a torturée; mais aussi, quand Cléo- pâtre, pour détourner les soupçons, les rejette sur elle et l'ac- cuse, avec quelle fierté vraiment royale elle se redresse! aveL quelle présence d'esprit elle confond l'accusatrice! car c'est li un des traits les plus curieux de son caractère : Rodogune, qu'on nous représente, tantôt comme une pensionnaire ingénue, tantôt comme une criminelle, est le plus souvent une femme de sens et de (ôte autant que de cœur.

Ceux qui aiment à tout réduire en formules pourraient donc résumer ainsi ce débat:

Il n'est pas vrai que Rodogune soit incapable de toute pas- sion forte : fiancée de Nicanor, prisonnière de Cléopâtre, reine outragée, femme aimante, menacée dans son amour, elle peut et doit faire un grand effort pour se sauver en se vengeant. Cette crise suprême réveille et exalte les mauvais sentiments qui dormaient au fond de son âme.

Il est vrai pourtant que, plus faite par la nature pour la ten- dresse que pour la violence, elle ne se maintient pas longtemps au ton où elle est montée; s'il n'est pas invraisemblable qu'une princesse orientale n'ait point la résignation mélancolique de telle héroïne moderne^ il est moins invraisemblable encore qu'ai- mant Antiochus, elle oublie bientôt sa haine pour être toute à son amour.

Il n'est pas vrai que la proposition de Rodogune soit un pur artifice; mais il est vrai que la passion ne domine pas assez Ro- dogune pour lui faire perdre de vue le souci très réel de son intérêt et des moyens qui peuvent assurer son salut. Sa présence d'esprit est au moins égale à son audac»-

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