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INTRODUCTION. M

où ils ont vécu. C'est ici une guerre implacable entre deux femmes et deux reines; aux petits manèges perfides des cours européennes ?e substitue la liaine qui marche à front découvert et trop souvent ensani^lante le sérail. Aux yeux de Rodogune, la vengeance est un devoir absolu; elle essaye du moins de se le persuader et de le persuader aux princes. En vain Voltaire parle philosophie à une reine qui n'entend pas la philosophie, et raison à une femme qui ne veut pas être raisonnable. Seule- ment, comme Rodogune n'est pas une Cléopâtie, elle n'a ni la niéme conviction, ni le même accent. Si légitime que lui paraisse sa cause, elle ne s'aban loime pas tout à fait. Qu'on nous passe le mot, elle se monte la tôte et s'échauffe à froid ; elle est de ces héroïnes cornéliennes, plus raisonneuses encore que passionnées, qui parlent, comme elle, de leur « gloire », et dont le plaidoyer subtil n'est pas toujours convaincant, parce qu'ii n'est pas toujours convainca. Elle disserte et raffine trop. Son imagination est séduite par l'apparente grandeur du but qu'elle poursuit ; son cœur n'est pas gagné. Aussi, ce pre- mier pas fait vers le crime, va-t-elle s'arrêter court; aussi ne restera-t-il bientôt de cette scène que le souvenir de ce qu'elle appelle, ave* trop d'indulgence, un « caprice, » soudainement conçu, soudainement abandonné.

Cet abandon si prompt d'un projet jugé si essentiel donne raison, ce seinble, à ceux qui retusent de prendre au sérieux la proposition de Rodogune. Selon Geofifroy *, qui répète d'ailleurs Corneille, elle ne fait pas cette proposition pour qu'elle soit ac- ceptée, mais pour se soustraire à la poursuite importune des deux frères et pour faire échouer, en les contre-minant, pour ainsi dire, les complots de Cléopâtre. Ne sait-elle pas en effet qu'ils sont incapables d'un crime? N'avoue-t-elle pas elle-même qu'elle l'espérait?

Votre refus est juste autant que ma demande. A force de respect Totre amour s'est trahi ; Je voudrais vous hall, s'il m'avait obéi -.

Pourquoi donc a-t-elle exigé cette obéissance , qui l'eût désespérée? N'est-ce point parce qu'elle aussi a voulu gagner du temps, et déplacer le danger? Menacée par Cléopâtie, elle la menace à son tour. Elle ignore quel effet ont pu produire sur ces

1. Cour» dt littérature dramatique, 1.

8. Acte IV, se. I. — Voyez dans VErnineH, p. 70, l'explieatiOB ingfitiiease •ju* Corneille dODna de la eondoite do (tudogune.

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