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44 RODOGIJNE.

aimé à tracer le portrait. Là est le point faible de ce caractère; là par moments est la véritable, et, à notre avis, la seule invrai- semblance. M. Saint-Marc Girard in l'atrèsbien indiqué: « Le per- sonnage de Cléopàtre e~t odieux d'un bout à l'autre delà pièce. il n'inspire que l'hoireur. Jamais un seul remords n'est ressenti pai cette mère qui veut faire périr ses deux fils pour faire périr sa rivale. Jamais la nature ne réclame en son cœur, et quand elle l'atteste, c'est pour la braver et la sacrifier à son ambition et à sa vengeance^. »

Mais, si juste que soit cette critique, il ne faut pas l'exagérer, ni reprocher à Corneille la scélératesse de Cléopàtre. Dans une excellente histoire de la littérature française, nous regrettons de trouver, à côté d'appréciations très justes sur Rodogune, une sorte d'écho de la vertueuse indignation de Lessing : «On ne saurait concevoir une plus forte peinture de la volonté mise au service du mal, une plus formidable image du crime .>aisi parle c'nàtiment. Mais, si la pièce s'achève ainsi par le triomphe de la jusiice, elle tien présente pas moins un périlleux paradoxe, et le début d'un système funeste, celui qui consiste à exalter les héros du mal. Cléopàtre commence toute une lignée de héros de ce genre^. » Pourqiioi celte confusion delà morale et de la lit- térature? Proscrirait-on le personnage de Narcisse, plus discret, il est vrai, parce que la perfection de sa scélératesse nous arra- che notre admiration? Athalie, qui, comme Cléopàtre, n'a pas reculé devant le crime pour conquérir le pouvoir et s'y mainte- nir, qui, comme elle aussi, vaincue, désarmée, mourante, brave encore ses ennemis vainqueurs, n'est-elle donc qu'une création immorale du poète qui écrit des tragédies religieuses pour Saint- Cyr? N'aura-t-on plus le droit de peindre le vice tel qu'il est, dans toute son horreur, et faudra-t-il l'adoucir, de peur qu'il ne paraisse trop \ rai ? Le caractère de Cléopàtre, objecle-t-on, n'est pas vrai, ou du moins il n'est pas vrai en tout, et sort plus d'une fois de la nature humaine. Reconnaissons l'exagération de certains traits; regrettons qu'en traçant ce portrait, d'allure si hautaine, le crayon de Corneille ait parfois trop appuyé; mais ne disons pas qu'il a, même malijré lui, glorifié le crime : car l'impression que nous laisse Rodogune n'a rien de corrupteur

tique la propos !ir>n de Cléopàtre : « L'embarras de ces aimablos jeunes gcn» dit-il, nou sans in nio, peut être deviué sans peine. »

i. Conrs de lillf)alure firamatiiiu, t. I et V.

2. Histoire de la iUlérature française, pat M. Tiviar, doyen de la Faculté des lettres de Besaagoo.

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