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INTRODUCTION. M

Cléopatre, cMe illustre tragédie est restée une de nos admira- tions les plus vives.» D'abord, dire de Rodogune qu'elle est la dernière des grandes tragédies de Corneille, c'est méconnaître les mâle? beautés de Nicomède et de Serloriiis; iviiSy en fait de critique littéraire, les dithyrambes n'ont jamais rien prouvé. Plus froid, le jugement sera plus précis et plus sûr.

Rodogune est- elle le chef-d'œuvre de Corneille, comme Lessing le voudrait faire croire? La réponse doit êlre résolu- ment négative. Il faut réserver ce titre si disputé, soil au Cid, dont le charme de jeunesse est éternel, soit à la peinture du pa- trioiisme romain dans Horace, soit à Cinna, ce beau tableau politique et humain, soit enfin à Polyeucle, où l'héroïsme chré- tien triomphe et se joue de la more. Rodogune a des parties tout à fait supérieures, et le cinquième acte le plus Iragique peut-être qui soit au théâtre; mais on achète ce fier dénouement par bien des faiblesses, bien des inventions froides et contes- tables. Peut-être cependant est-il excessif de dire, avec M. Mé- zières : « Non seulement on n'a jamais préféré en France Rodogune à Cinna ou à Polyeucle, mais on n'y a jamais ad- miré que les fortes beautés du cinquième acte. ^ » Ce cinquième acte, SI vanté à l'exclusion des autres, nous avons peine à le détacher des actes qui le précèdent et l'expliquent. S'ils sont absurdes, comme on l'a tant répété, comment pourrait-il être, nous ne disons pas magnifique, mais raisonnable? Le couronne- ment d'un édifice ne fait pas naître en nous le sentiment de la beauté, lorsque la base en est fragile; pour que nous aduiirions à iaise la grâce ou la fierté d'un détail, il faut que notre esprit soit rassuré sur la solidité de l'ensemble; pour que ie dénoue- ment de Rodogune nous émeuve, il faut que la terreur qui d'un bout à l'autre nous y étreint l'âme, ait été pend.^nt longtemps accumulée; il faut que la tragédie, monstrueuse, si l'on veut, soit, selon le mot de Sainte-Beuve*, « ingénieusement mon- strueuse. »

Remarquons-le en effet : ce cinquième acte appartient en propre à Corneille; Appien et l'histoire n'y .sont pour rien; car tout est modifié, dans la situation de Rodogune vis-à-vis de Cleo^'âtre et dans la situation d'Antiochus vis-à-vis de Rodo- gune. L'histoire n'est donc point si supérieure au drame, puiiS-

��1. Introduction à la Dramaturgie de ffambourg, tia.à. de Suckau, revue pM M- Crouslé.

"Nouveaux lundis, t. VII.

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