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INTRODUCTION. 53

parce qu'il a été nécessaire qu'elle ait vendu son miroir pour avoir du pain. »

Lorsque le calme fut tout à (ait revenu, Corneille penchait vers son déclin; d'autres allaient paraître dont les jeunes triooi- plies, souvent trop bruyants, devaient le faire cruellement souf- Irir : M™* de Séviijné ne fut pas seule pourtant à jeter bravement à tou? les échos, jusqu'au bout, ce cri de l'enthousiHsme qui ne vieillit pas' « Vive donc notre vieux Corneille! » On a lu plus haut le double jugement de Bayle et de Baillel. Un poète déli- cat, vanté par Boiieau,Segrais, regardait aussi Rodogu/ie comme le chef-d'oeuvre de Corneille^ et Boileau kii-même ne se lassait pas d'admirer les belles fureurs de Cléopàtre. Lamotte, il est vrai, tout en rendant justice à la beauté de ce dernier acte, jugeait sévèrement i'ibvraisemblance des i)éripéties qui le pré- cédaient; mais d'avance un écrivain, autrement fin et judicieux que Lamolte, lui avait répondu. Nous ne résistons pas au plaisir de citer toute entière cette page de Saint-Évremond. Cesera une leçon de bon style en même temps que de bon goiît.

« Je n'ai jamais ', écrit-il à M. de Burillon, douté de votre inclination à la vertu; mais je ne vous croyais pas scrupuleux jusqu'au point de ne pouvoir souffrir Rodogune sur le théâtre, parce qu'elle veut inspirer à ses amants le dessein de faire mou- rir leur mère, après que la mère a voulu inspirer à ses enfants le dessein de faire mourir une maîtresse. Je vous supplie, monsieur, d'oublier la bonté de notre naturel, l'innocence de nos mœurs, l'humanité de notre politique, pour considérer les coutumes bar- bares et les maximes criminelles des princes de l'Orient. Quand vous aurez fait réflexion qu'en toutes les familles royales de l'Asie les pères se défont de leurs enfants sur le plus léger soupçon; que les enfants se défont de leurs pères par l'impatience de régner; que les maris font tuer leurs femmes et les femmes empoisonner leurs maris; que les frères comptent pour rien le meurtre des frères; quand vous aurez considéré un usage si détestable établi parmi les rois de ces nations, vous vous étonnerez moins que Rodogune ait voulu venger la mort de son époux sur Cléopàtre, qu'elle ait voulu assurer sa vie, recouvrer sa liberté, et mettre un amant sur le trône, par te perte de la plus méchante femme qui fût jamais. Corneille a donné aux jeunes princes tout le bon naturel qu'ils auraient dû jivoir pour la meilleure mère du

1. M. Brédif, Segrais, sa vie et ses œuvres.

2. Défense de quelques pièees de thtdtre de Conuitle (1677). Éd. de M. Oidel, S.p 60.

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