Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/360

Cette page n’a pas encore été corrigée

14 RODOGUNE.

mes vers, n'ayant jamais fait parler de cette seconde Médée que sous celui de la reine. » Cette obstination que met Corneille à ne jamais nommer ni Cléopâlre, ni même Antiochus et Séleucus par leurs noms, jette une certaine obscurité sur tout le début de sa tragédie; comment n'aurait-elle pas égaré Gilbert ou son confident? D'une part, ils savaient que la pièce porterait le titre de Rodogune ; de l'autre, ils voyaient que la reine mère y jouait le principal rôle; la conclusion était naturelle, et c'est à la reine mère que Gilbert donna le nom de Rodogune; les autres personnages reçurent des noms de fantaisie. On objectera que Rodogune ets nommée, en certains passages, sans méprise possible ; mais d'abord elle ne l'est pas souvent ; puis, il est peu probable que Gilbert ait eu connaissance de toutes les scènes ; il est même certain qu'il n'a pas connu le cinquième acte. Sans doute, on lui a seulement indiqué les situations essentielles, sans entrer dans le détail : le titre, d'ailleurs, qui devait surtout le préoccuper, ne suffisait-il pas à rendre l'illusion facile ?

Si l'on pénètre dans le détail des deux pièces, on se confirmera dans cette double idée : que Gilbert, de façon ou d'autre, n'a pas ignoré le plan d'ensemble de Corneille, et que seul ce plan d'ensemble lui fut confié ; car la marche de l'action est identique ; le dessein général des scènes capitales diffère peu. En revanche, quelle différence pour le style ! Le fond appartient donc en propre à Corneille ; la forme est, pour ainsi dire, l'apport personnel de Gilbert. Dans le corps des notes, nous avons introduit quelques passages de la Rodogune apocryphe (acte I, sc. iii ; acte III, sc. iv) ; que l'on compare, et que l'on juge !

A partir du cinquième acte, aucune comparaison n'est possible. « Rodogune1, qui veut faire périr Lydie, a donné ordre à Oronte de lui amener cette infortunée princesse. Oronte revient avec Lydie et apprend à la reine que Darie, ayant voulu s'opposer à son dessein, s'est précipité sur les gardes avec si peu de précaution qu'il est tombé mort d'un coup d'épée, où il s'est enferré. Rodogune regrette ce fils, qu'elle avait déclaré roi, et veut venger sa mort sur Lydie. Survient Artaxerce, qui, par ses menaces, suspend la fureur de la reine. Darie, qui n'a reçu qu'une légère blessure, vient chercher sa chère Lydie. Rodogune, surprise de cet événement, change de caractère. Elle embrasse

1. Histoire du Théâtre français, par les frères Parfait. Rodogune (Cléopâtre) est, dans la pièce de Gilbert, veuve du roi de Perse Hydaspe; Lydie (Rodogune) est fille du roi d'Arménie, Tigrane.