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10 . POMPEE

cer un discours, auquel correspond un discours de la plain- tive Cornélie ; dans la tragédie française, Pompée meurt sans phrases, et Cornélie s'évanouit ; c'est ce que tous deux avaient de mieux à faire. Mais Cornélie reprendra ses sens et saura parler haut ; la Cornélie de Lucain ne sait que pleurer, déclamer et fuir, comme son César ne sait pas être généreux. D'un seul trait délicat et rapide Corneille indique le contlit de sentiments opposés, également humains, qui se partagent l'âme de César ; Lucain y insiste et fait de César un Tartufe :

César, sur cet objet les regards attachés,

Retient un peu d'abord ses mouvements cachés:

Mais, ayant à loisir rappelé son idée.

De cette indigne mort l'âme pei'suadée.

Il croit qu'il peut enfin, sou pouvoir affermi.

Reprendre le beau-père et quitter l'ennemi.

Il verse quelques pleurs que l'artifice envoie,

Il pousse des soupirs d'un cœur tout plein de joie,

Et croit en ce moment que, pour la cacher mieux,

Il faut mettre du moins le trouble dans ses yeux.

Du roi par cette feinte il détruit le mérite ;

L'ennui le désoblige, et la douleur l'acquitte,

Et, pour ne ternir pas la gloire de son sort,

Il aime mieux pleurer que devoir cette mort *.

Dion Cassius va plus loin que Lucain : après avoir loué César d'avoir rendu les derniers devoirs à son gendre, il ajoute que la comédie des larmes ne prêta qu'à rire. Ces re- grets, en effet, il le remarque, ne pouvaient être sincères chez un ambitieux qui avait poursuivi d'une haine constante Pompée vivant et qui ne venait sans doute en Egypte que pour se défaire de lui.

Ce comédien consommé, pour qui Lucain n'a pas assez d'amères invectives, serait un pauire héros de tragédie. Il est vrai que la traduction de Brébeuf exagère encore les défauts de Lucain, et appuie là où il faudrait glisser ; c'est, comme Brébeuf l'avoue lui-n.ème, « plutôt une libre imitation qu'une traduction scrupulrase. >> Dans YAvertisse- ment qui précède les VIl^ et VIII" livres, il a le bon goût de rappeler son illustre devancier : « Je ne me suis pas satisfait moi-même dans les sujets que Monsieur de Corneille a traités, et ses nobles expressions étaient si présentes à mon esprit qu'elles n'étaient pas un médiocre empêcùement aux miennes.

��1. Pharsale, IX, trad. de Brébeuf.

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