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INTRODUCTION * 9

Lorsque sur les humains leur courroux se déploie,

C'est l'attirer sur nous de lui ravir sa proie.

Ne nous immolons point à ces devoirs mutins,

Et penchons du côté que penchent les destins.

Choisis pour tes amis ceux que le Ciel révère,

Fuis ceux que son pouvoir dévoue à sa colère :

L'État et Talliance ont de contraires lois,

Et la foi neutre guère au cabinet des rois.

Ce vain nom du devoir n'est plus qu'un nom stérile,

Et souvent l'équitable est contraire à l'utile ;

Souvent la cruauté sied bien aux .potentats ;

La liberté du crime assure leurs États,

Les meurtres sont permis alors qu'ils les projettent,

Les attentats sont beaux si tôt qu'ils les commettent ;

Leur pouvoir souverain purge tous leurs souhaits

Et le rang du coupable anoÈlit leurs forfaits;

La vertu scrupuleuse et la haute puissance

Souffrent malaisément une étroite alliance.

Ce respect dans les rois met leur faiblesse au jour

Et l'équité n'est pas la vertu de la cour.

Souvent cette innocence est pour eux un grand vice :

La chute est bien à craindre à qui craint l'injustice;

Il faut, il faut qu'un prince ait ses droits réservés

Et laisse la justice à des hommes privés i.

De ce début cynique à la péroraison hypocrite, la ressem- blance entre les deux discours reste frappante, et, si l'on con- sulte les notes, de nombreux rapprochements de détail eu feront foi. Mais (][uelle supériorité dans la conception de la scène ! Chez Lucam, Photin parle seul; à peine sommes-nous avertis qu'un vieux prêtre, Achorée, est d'un avis contraire ; cet Achorée restera dans l'ombre et n'en sortira que pour disserter, au X^ chant, sur les sources du Nil, devant César distrait, qui n'a d'yeux que pour Cléopàtre. Pour Achillas, qui ne paraît pas davantage, c'est un soldat passif, qui exécute une consigne : scelen delectus Achillas -. A cette délibéra- tion, qui est un monologue, préside le jeune roi, non moins discret ; il approuve, il se tait et ne semble être là que pour ouvrir et lever la séance.

Ici, Corneille a beaucoup ajouté; ailleurs, il retranche, avec une sûreté de goût qui peut sembler surprenante chez un admirateur de Lucain. C'est ainsi que dans tout le récit de la mort de Pompée il a suivi de fort près son modèle ; mais il a su élaguer bien des traits invraisemblables ou déclamatoires : Pompée mourant éprouve, chez Lucain, le besoin de pronon-

1. La Phar sale de Lucain: Paris, chez Antoine de Sommaville, 1656 ; chant VIII % Pkarsale, VIII, y, 538.

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